Mathreyata
Dark Buddha Rising
Oubliez toutes les âneries que vous avez lues cette année sur Facebook. Le monde n’est gouverné ni par les illuminati, ni par les Chinois, ni par l’industrie pharmaceutique, ni par le tandem Bill Gates et George Soros, et encore moins par le lobby gay, l’alliance pédo-satanique ou le complot judéo-maçonnique. Il est temps de vous révéler la vérité : le monde est dirigé par les Finlandais.
Les faits parlent d’eux-mêmes. Dans tous les domaines, la contrée de résidence de celui qui ne déposera rien sous le sapin cette année domine le monde avec une discrétion qui aurait dû éveiller nos soupçons. Qui a inventé, avec le 3310, le seul téléphone à touches toujours aussi populaire après 20 années d’existence ? Qui trône en tête au classement des meilleurs systèmes éducatifs de la planète ? Qui a lancé la première expérience de revenu universel ? Qui a tellement bien géré l’épidémie de COVID-19 que sa première vague ressemble à une flaque d’eau face au tsunami qui a dévasté nos hôpitaux, et que sa deuxième n’est tout simplement jamais arrivée ? Qui compte le plus haut ratio de groupes de metal par habitant avec un impressionnant score de 53,2 pour 100.000 ? Oui, c'est la Finlande.
On ne vous parlera pas ici de Nightwish, Children of Bodom ou Amorphis, mais bien de metal avant-gardiste, une catégorie dans laquelle cette nation d’un peu moins de 6 millions d’habitants donne le La. En tête du mouvement, il y a bien évidemment Oranssi Pazuzu, dont personne ne contestera le titre d’album de l’année en 2020 dans sa catégorie, et bien au-delà. On peut désormais affirmer sans trop de risques qu’ils seront talonnés par leurs compatriotes de Dark Buddha Rising, dont le dernier album Mathreyata est un modèle de maîtrise et de perfection. Les deux groupes ont d’ailleurs croisé le fer le temps d’une collaboration sous le nom de Waste of Space Orchestra.
Depuis une petite dizaine d’années, Dark Buddha Rising construit un répertoire bien à lui sur les terres d’un drone hypnotique aussi lourd qu’un soleil, sur lequel viennent se greffer des touches de black metal et de krautrock. Relativement avare en matière d’accroches mélodiques, le groupe s’échine à construire ses partitions comme une quête introspective, un rituel psychédélique sombre et envoûtant. À force de répéter les mêmes patterns, encore et encore, soutenus par un registre qui privilégie la saturation grasse et les basses fréquences, les compositions finissent par fendre la croûte terrestre comme on ouvrirait une brèche dans nos crânes, pour s’y déverser et anéantir toute lueur du monde extérieur. Ecouter Mathreyata, c’est passer un long moment face à soi-même, comme perdu au milieu d’une nuit opaque. Pas étonnant de la part d’un pays où, pendant 6 mois, la nuit commence dès le générique de fin des Feux de l’Amour sur TF1.
Sur ce dernier album, Dark Buddha Rising s’affiche au sommet de son art, en maître d’un genre musical qui se vit comme une expérience sensorielle – et spirituelle - ultime. Servi par une production d’une clarté cristalline, Mathreyata déboulonne en quatre titres seulement les statues érigées aux Dieux du drone (Earth), des infrabasses toxiques (Scorn), de la répétition (Neu!) et de la transe (France). Ce qui impressionne le plus sur ce disque, c’est cette idée d’entité compacte, dense, comme un trou noir dont la gravité infinie absorbe tout sur son passage, même la lumière. La musique vous assomme par ses dimensions monolithiques, cathartiques et universelles dont l’unique finalité est de vous forcer à monter le volume au maximum, baisser votre garde et vous laisser emporter par des sons qui se ressentent plus qu’ils ne s’entendent. On en sort avec une curieuse sensation d’absolution, de légèreté et de purge. Comme après un bon sauna - une autre invention des Finlandais.