Mastermind
Rick Ross
S'aventurer dans un album de Rick Ross est affaire de concessions. Et la plus importante d'entre elles consiste à accepter que William Roberts est aussi crédible en MC qu'il n'a pu l'être en maton, à parler de poudre et de milliards avec ce même flow rabougri. Mais voilà, le mec demeure un esthète rare, qui n'a de cesse d'affiner une recette et de rassembler des personnalités variées dans autant de projets casse-gueule à la Black Album – sans toutefois atteindre le même degré de maîtrise. Un constat que les chiffres ne manquent pas de couronner puisque il y a deux ans, son God Forgives, I Don't avait réussi à priver de la première place du Billboard un certain Life Is Good. Un succès explicable par l'incroyable omniprésence de Rozay, tant sur la planète mixtape qu'au niveau des grosses sorties. Une omniprésence qui l'a logiquement conduit à ce parfait équilibre entre ces deux univers que tout oppose.
Avec le CV du bougre en tête, difficile d'attendre de son sixième album autre chose qu'une œuvre privilégiant la forme au fond. Rick Ross a toujours aussi peu de choses à raconter, sinon un gros paquet de clichés gangsters si peu crédibles que même les échanges entre Jésus et Kanye West sembleraient plus cohérents. Alors une nouvelle fois, tout ce qu'il ne sait pas raconter, il le compense par son charisme vocal, la narration de son album et le talent de ses invités. Forcément, pour accomplir tout cela, on retrouve un casting cinq étoiles, une production qui ne l'est pas moins, et un produit final à nouveau parrainé par un P Diddy qui s'offre un gros plaisir coupable digne d'un blockbuster mononeuronal de Michael Bay. C'est donc rarement intellectuel, bien que la touche soulful soit une nouvelle fois très présente. Chaque titre frappe très fort et exhibe une artillerie lourde qui permet même au MC ventripotent de sortir de sa zone de confort. Et si on avait tout à craindre de sa rencontre avec le falsetto suave de The Weeknd, le reggae de Sizzla et Mavado, ou le mort-vivant Lil Wayne, chaque réunion est un franc succès qui permet à Mastermind d'aligner les tubes tel des billets dans la valorisatrice. Rozay s'offre même le luxe de ressusciter sur "The Devil Is A Lie" le flow du lion Jay-Z qu'on pensait à jamais endormi depuis American Gangster – un miracle d'autant plus marquant que les deux albums présentent d'évidentes familiarités.
A l'arrivée, il est presque blessant d'admettre que ce nouveau Rozay a qualitativement volé la vedette au Oxymoron de ScHoolboy Q. Car en dépit de son cahier des charges conventionnel, ce nouvel album voit Rick Ross persévérer et démontrer qu'il pèse sévère dans un créneau quasi-cinématographique qui ne souffre d'aucune concurrence. Mastermind est en tout cas un album impeccable, maîtrisé de bout en bout et à même de justifier que son géniteur n'est pas ce poids lourd que l'élite bien-pensante du rap s'acharne à enterrer. Et qu'il devient un peu plus intouchable à chaque nouvelle livraison.