Masseduction
St. Vincent
Ce qui est bien avec Annie Clark, c’est que chacun de ses albums nous permet de lui broder une nouvelle déclaration d’amour. Nous avons beau être conscients du danger, admettre que cette femme-là est un piège-à-cœur, un prototype d’androïde implanté parmi la foule pour mener les terriens à leur perte mais la chose maîtrise tellement sa trajectoire que nous sommes une fois de plus contraints de nous incliner.
Annie place ses pions avec une précision chirurgicale. De ses visuels à sa ligne de guitares, de ses chorégraphies minimalistes aux particules qu’elle laisse filtrer en interview, elle progresse à son rythme en réservant ses effets de surprise. Après la prêtresse diaphane de son précédent St. Vincent, son nouveau personnage adopte une silhouette tout en vinyle et talons assassins. Poupée caméléon qui joue de la carotte et du bâton, Clark modèle sa musique à son image, à la fois accessible et ambigüe, féroce et sensible.
Etape supplémentaire dans sa conquête du monde, elle attaque cette fois la pop de front, ses ongles laqués plantés directement dans l’aorte. Couleurs acidulées côté vitrine, Jack Antonoff à la production de titres choisis (on lui doit l'incroyable Melodrama de Lorde sorti il y a quelques mois) et surtout, du tube. Des grosses mélodies qui se siphonnent goutte à goutte dans notre cerveau au point de les marmonner à la photocopieuse en fonction de notre humeur (« Sugarboy », « Los Ageless » ou l’impeccable single « New York »). Si les talents de compositrice de Clark ont déjà été éprouvés par le passé, ils atteignent ici un niveau d’efficacité qu’il nous restait à découvrir.
On pourrait s’arrêter là et l’imaginer se cristalliser en énième diva pop, catégorie « arty ». Sauf que Annie a pris soin d’introduire quelques grains de sable dans la machine. Sexe, déception, rejet amoureux, dépendance, pression sociale, angoisse existentielle pour finalement s’échouer sur un suicide, Masseduction embrasse des sujets qui n’allègent habituellement pas les repas de famille. Elle formule le tout sans détour et le joyeux son du synthé n’est soudain plus qu’un leurre. Ajoutez à ça sa guitare à l'état sauvage, une voix qui hésite constamment entre la fêlure, le stupre ou la menace ainsi qu’un petit coup de sax du camarade Kamasi Washington et l’objet dévoile plus de facettes que son vernis ne le laissait supposer. St. Vincent n’est peut-être plus tout à fait humaine mais le traquenard en vaut la peine.
Masseduction. Poperfection.