Marcielago
Roc Marciano
Concept paradoxal que celui de la « zone de confort ». Il n’est pas rare, et on balaye ici devant notre porte, de brocarder un artiste qui se complairait dans cet espace où on lui reproche de travailler encore et toujours les mêmes formules, de ne miser que sur ses seuls acquis. C’est d’ailleurs un argument que l’on adresse souvent à des gens dont est moins friands du travail, là où l’on jugera que des artistes dans nos bonnes grâces « continuent de faire ce qu’ils font le mieux » - et là aussi on sort le balai.
Pourtant il est des gens dont on ne voudrait pas qu’il quittent leur zone de confort – soit parce que l’on pense qu’ils courraient à leur perte s’ils le faisaient, soit parce qu’ils excellent trop dans ces schémas préétablis pour qu’on veuille les entendre faire autre chose. Quand ce n’est pas un peu de deux, comme c’est le cas avec Roc Marciano. Car soyons clairs, on voit mal le New-Yorkais aller faire le mariole chez le dernier mumble rapper à la mode ou se plier aux nombreuses contraintes qu’impose la productions d’un album de trap en 2020. Non, le contrat a toujours été clair avec Roc Marciano : depuis qu’il a débarqué avec Marcberg en 2010, il a toujours joué la carte de ce boom bap sombre qui carbure aux boucles à base de samples de guitare et de voix de divas soul pleureuses. Dans sa bouche, New York est toujours cette ville poisseuse et dangereuse où le pimp est roi et la rue dicte sa loi. Bref, son New York a lui n’a pas encore vu naître le Wu et n’est pas encore passé par la case Rudy Giuliani, le maire républicain de la ville entre 1993 et 2001, et dont la politique sécuritaire que l’on qualifiera de volontariste (pour ne pas dire autre chose) aura au moins permis de redorer le blason de la ville et la rendre à nouveau séduisante aux yeux des touristes du monde entier.
Dix ans donc que Roc Marciano traîne son flow faussement paresseux sur des productions en total décalage avec leur époque, dix ans qu’il creuse religieusement son sillon, dix ans que ceux qui parviennent à rentrer dans son délire le suivent aveuglément. Il faut dire par son talent et son charisme naturels, son storytelling malin et son sens du détail, Roc Marciano parvient à être qu’autre chose qu’une simple revivaliste, et surtout il compte aujourd’hui parmi les rares vrais ambassadeurs de sa ville, quand toutes les plus grandes stars de la Big Apple, de A$Ap Rocky à Joey Badass en passant par French Montana, préfèrent jouer la carte d’un rap mondialisé, qui dilue ses influences et ses origines dans un grand bain algorithmique qui aseptise tout ce qu’il éclabousse. En fait, écouter Roc Marciano, c’est comme regarder The Wire en 2020 : la série vaudrait aujourd'hui pour son seul charme désuet si elle n’était pas portée par la profondeur de ses personnages et la finesse de ses dialogues. D’ailleurs, à l’image de la série de David Simon diffusée sur HBO, tout ce que Roc Marciano a à gagner dans cette histoire, c’est un succès d’estime. Si on s’en contente largement, difficile de ne pas se dire qu'il mérite une autre place dans les livres d'histoire du rap.