Marauder
Interpol
Il est compliqué de se faire un avis tranché sur ce sixième album d'Interpol. Même après plusieurs écoutes, il est utile de faire un tableau listant les points forts et les points faibles de ce disque qui ne manque ni des uns ni des autres. Les points forts d'abord: une forme d'énergie, peut-être due à un enregistrement ponctué par la longue tournée d'anniversaire célébrant les 15 ans de Turn On The Bright Lights, l'indétrônable chef d'œuvre qui éclabousse encore de son éclat la discographie des new-yorkais et tout le son indie rock des années 2000. Ayant assisté à une date de cette tournée à l'été 2017, je peux vous assurer que la fougue et l'envie du groupe sur scène étaient palpables et ont certainement infusées sur Marauder.
L'autre atout est ce semblant de groove, très surprenant pour Interpol, qui transparaît au fil des écoutes. C'est le cas évidemment sur l'hyper pêchu single "The Rover", qui après une semaine d'écoute s'infiltre dans votre tête et ne vous lâche plus. La section rythmique est plus que jamais mise en avant, comme sur "Complications". Ces changements sont la marque de Dave Fridmann (à qui MGMT, The Flaming Lips ou Mercury Rev doivent beaucoup), premier producteur extérieur à la formation autorisé à toucher les chansons d'Interpol depuis leurs débuts. Résultat: le son n’est pas aussi froid et poli que sur les précédentes livraisons du groupe, et fait souffler un léger vent de fraîcheur sur l'ensemble.
Toute cette nouveauté conduit aussi au principal défaut du disque: les basses autrefois mises au premier plan des mélodies sont rétrogradées au profit des guitares qui prennent de l'ampleur. De plus certains titres ont tendance à s'étaler sur la longueur au risque de tomber dans la grandiloquence, les plus courts comme ce "Mountain Child" resserré n'en étant que plus percutants. Par ailleurs l'évolution dans l'atmosphère masque mal le fait que les mélodies et les structures sont usuelles, si l'on excepte quelques incartades comme les accents presque soul que prend Paul Banks sur la conclusion "It Probably Matters". Le reste du temps et dans les meilleurs moments ("The Rover" encore lui, "Flight Of Fancy"), on prendra son pied à l'écoute de morceaux efficaces et bien troussés.
Au final Marauder est loin d'être un mauvais album avec plusieurs morceaux bien ficelées, une direction artistique discutable mais assumée, et finalement un disque qui porte bien son nom: un album de maraude, qui sinue entre des pistes de facture traditionnelle pour les américains et des choses différentes, plus groovy, emballant le tout de manière agréable, s'extirpant du cœur de la nuit pour roder dans les lueurs faiblardes de l'aube. On reposera peut-être ses oreilles dessus, comme l'on revient sur Antics ou sur El Pintor de temps à autre, sans en faire un disque de chevet. Pour jouer ce rôle Turn On The Bright Lights est toujours là, inaccessible même à ses géniteurs.