Mange tes morts
Seth Gueko
Il aurait été tellement facile de préjuger le nouvel album de Seth Gueko et de le railler pour tous les éléments qui en font un rappeur unique en son genre : son parcours atypique, sa gouaille, son aventure thaïlandaise, son côté parfois misogyne et beauf qui se mélange avec une facette plus sensible, voire romantique. En une vingtaine d'années de carrière, le rappeur n’a cessé de courir après un grand succès populaire qui n’est jamais vraiment arrivé, et ce malgré une qualité d'écriture qui fit un temps de lui un rival de Booba. Avant de se retirer pour se consacrer à ses investissements (ses deux Barlou Burgers et son Barlou Tattoo Shop), Seth Guex livre un projet qu’il annonce comme son dernier. Adieu, Monsieur le Professeur ?
La première chose réjouissante est que Seth Gueko ne passe pas (trop) pour un gros boomer dépassé par les les évènements. On le sent à l’aise pour déconner avec le jeune Kanoé, qui lui rend hommage de la plus belle des manières sur « Gaine-dé » en reprenant sa célèbre punchline « Si on a les yeux bleus c’est à cause des gyrophares ». À l'autre bout du spectre, il se montre tout aussi à l’aise aux côtés d'Akhenaton, lequel profite de « Morts sous la même étoile » pour offrir une suite inespérée au célèbre « Nés sous la même étoile » d'IAM. En fait, Seth Guex se révèle être sur la majeure partie de l’album un parfait caméléon très respectueux de l’environnement préféré de ses très nombreux sparring partners, à l’image de sa collaboration avec Benjamin Epps dont la prod aurait très bien pu être utilisée sur le dernier projet de ce dernier.
Face à une telle vista, on peut lui pardonner le moment où il s'attaque de manière assez frontale au niveau d’écriture des têtes de gondoles actuelles sur le morceau « Nouvelle Géné » - un morceau qui en rajoute une bonne couche niveau nostalgie avec l’incursion des sempiternels ad-libs de Big L sur « Put It On ». On retrouve aussi cette amertume au moment où il tacle gentiment son fils Stos sur « Last Poètes » : « Je suis pas homophobe j'ai un fils qui fait de la zumba ». Ces nombreuses piques et touches d'humour sont encore une fois le liant de cet album, que ce soit pour vanner son fils, honorer le terroir ou faire des blagues qui ne passent plus du tout en 2022 - en même temps, il est pote avec Jean-Marie Bigard, ceci expliquant alors cela. Et bien sûr, un album de Seth Gueko ne serait pas sans complet sans ces nombreux moments où ça vire pipi-caca-cul. Morceaux choisis : « Je pète en pissant, y a pas de pluie sans tonnerre » sur « Last Poètes », ou encore « Je les entends rapper j'ai envie de chier/ Comme on dit j'ai le bobsleigh dans le dernier virage » sur « King Barlou ». Voilà.
Un Seth Gueko en grande forme donc, en roue libre aussi, mais qui sait également renouer avec les morceaux autobiographiques des débuts : « Le Tigre qui pleure » est particulièrement émouvant de par la tragédie qu’il raconte (le rappeur ne verra probablement plus jamais ses filles nées en Thaïlande) et la manière dont il se livre en dévoilant son mal-être et son côté humain qu’il avait un peu trop souvent enfoui derrière son personnage de mâle alpha. Le morceau est aussi l’occasion pour lui de parler de ses relations avec son fils, de son absence de modèle paternel ou de ses problèmes d’alcool. Une exercice maîtrisé donc, à l’image de cet album synthèse qui convoque un grand nombre d’influences, et ne se gêne pas pour faire des clins d’œil aux différentes périodes de sa carrière. En même temps, on n'en attendait pas moins de sa part pour cet ultime tour de chant. Merci, Monsieur le Professeur.