Mahashmashana
Father John Misty
Vous vous rappelez de Pure Comedy ? S’il y en a bien un qui s’en rappelle, c’est Father John Misty, qui convoque sur son sixième album tous les éléments qui en faisaient déjà le sel : l’orchestration grandiloquente, le falsetto de crooner, les chansons qui se déroulent comme des paysages défilant le long de la Pacific Coast Highway.
Mahashmashana, un mot sanscrit qui définit une sorte de fosse commune crématoire et renvoie au cycle éternel de la vie et de la mort mais a surtout été choisi pour son bel enchaînement de syllabes, est co-produit par Drew Erickson, l'arrangeur avec qui Josh Tillman collabore depuis son album précédent et qui a déjà officié chez Weyes Blood, Angel Olsen et bien sûr Lana Del Rey, dont Father John Misty est souvent présenté comme le pendant masculin. La relation entre les deux musiciens rappelle celle qui unissait Serge Gainsbourg et Jean-Claude Vannier : l’orchestre est ici un élément essentiel. Sur « Josh Tillman & the Accidental Dose », un morceau qui raconte une after un peu naze qui s’éternise, on retrouve même les violons utilisés par la paire Gainsbourg / Vannier sur "Melody", ceux-là même qu'avait empruntés un certain Beck Hansen durant sa période Sea Change au début des années 2000. D'ailleurs, la comparaison entre les deux Californiens ne s'arrête pas là tant « She Cleans Up », un morceau qui dénonce la lâcheté des hommes, s'appuie sur un riff fort similaire, quoique fort ralenti, à celui du « Sexx Laws » de Beck.
Disque aussi ambivalent que son géniteur, Mahashmashana s'amuse constamment avec les frontières entre l’hommage et l'originalité, l’easy listening et le raffinement, le grandiose et le mauvais goût. Ainsi, quand Father John Misty ne singe pas Harry Nilsson, Lou Reed ou tout le rock US des années 70, c'est un saxophone ultra suave qui s’invite sur une bonne moitié des morceaux, se mélangeant même avec un synthé facétieux sur « Being You ». Bien sûr, on retrouve sur Mahashmashana tout ce qui caresse les fans de Father John Misty dans le sens du poil. Pas de minimalisme à l'horizon donc, ce qui convient parfaitement au songwriting ironique mais enlevé de l'Américain, comme sur l' astucieuse parodie de rock de stade « Screamland ». Quant à « I Guess Time Just Makes a Fool of Us All », le morceau prend le risque d'augmenter légèrement le tempo pour une longue épopée country sous perfusion disco - un bon DJ n'aurait aucun mal à l’enchainer avec « Shake Your Booty » de KC and the Sunshine Band.
Et puis bien sûr, sur ce sixième album, on retrouve toujours des paroles alambiquées mais référencées, qui parlent avec une vraie finesse de masculinité, de spiritualité, de positivité toxique ou de l'inéluctabilité du temps qui passe. Mais à 43 ans, l’égo de Josh Tillman se dégonfle enfin légèrement pour adopter d’autres points de vue. En a-t-il vraiment terminé avec le personnage de Father John Misty, comme il l’indique sur les notes de l’album ? Si c’est le cas, Mahashmashana servirait de point d’orgue idéal à sa carrière d’observateur de la société postmoderne.