MAHAL
Toro Y Moi
D'abord, petit rappel pour celles et ceux qui ont dormi au fond de la classe ces douze dernières années : non, Toro Y Moi n'est pas un épiphénomène chillwave, mais une entité libre qui vieillit extrêmement bien, portée à bout de bras par un Chaz Bundick dont la vision artistique n'a d'égal que le drip phénoménal qu'il exhibe sur Instagram. Pourtant, même si le musicien d'Oakland a toujours su s'entourer, Toro Y Moi a parfois les défauts de sa qualité de one man band, et on a plus d'une fois eu l'impression que l'entité gagnerait beaucoup à se penser dans une logique de groupe.
Et de dynamique de groupe, il en est précisément question dans Live From Trona : disponible en intégralité sur YouTube, l'unique live de la carrière de Toro Y Moi a été capté sans public, à différentes heures de la journée au beau milieu du désert de Mojave. Outre l'enchantement visuel qu'il offre, il est l'occasion unique d'être au plus proche de l'écriture de Chaz Bundick, petit génie de la pop moderne. Et si nous évoquons cette captation live, c'est à dessein : dès son introduction, MAHAL renvoie à l'aridité du désert de Californie, aux plaines martiennes dans lesquelles le groupe s'est plu à revisiter son back catalogue.
Surtout, il ressemble à l'idée que l'on se fait de la vallée de la Mort voisine : la chaleur est suffocante, l'insolation guette, et on s'y traîne d'un pas lourd. C'est le cerveau ankylosé par la chaleur que Chaz Bundick et sa troupe semblent s'être attelés à l'écriture de ce septième album convoquant volontiers les analogies avec Tame Impala ou Khruangbin. Autant le reconnaitre : MAHAL ne fait pas dans l'originalité et fait lui aussi souffler ce vent chaud qui transforme actuellement les musiques à guitares, et se place à la hauteur de ces groupes à succès qui aiment flinguer une bonne mélodie en la noyant sous deux tonnes de reverb.
Alors qu'est-ce qui fait que la magie opère à ce point ? Parce qu'au-delà de ce cahier des charges psyché, MAHAL se plait à être parasité de toutes parts, à jouer sur les vitesses de lecture, au point de donner l'impression que le disque est joué par une bande FM hors de contrôle. Et c'est là que réside le génie de ce septième album : en s'accaparant une esthétique éculée pour lui permettre d'explorer son propre psychédélisme, MAHAL offre une vraie expérience d'écoute, loin des canons woodstockiens. Le disque est d'ailleurs très hip hop dans son approche et sa manière de jouer sur le son, de sublimer les textures sans trop empiéter sur la qualité de ses mélodies, dans un équilibre permanent entre savoir-faire pop et trip sous LSD. C'est tout particulièrement vrai sur la guitare en reverse du très catchy "Déjà Vu" ou sur un "Last Year", qui commence comme un titre du Mild High Club pour se terminer dans un feu d'artifice chopped & screwed qui rendrait fier DJ Screw.
Cousin éloigné du Person Pitch de Panda Bear avec lequel il partage le goût du bricolage pop sous psilocybine, MAHAL est une réussite insolente de plus à l'actif de Toro Y Moi, très fort pour rebattre ses propres cartes. Et puis ce nouvel effort est parfait pour mettre en musique les périodes trop chaudes qui s'annoncent, et qui nous rappellent que la planète comme le monde artistique ne peut plus ignorer le dérèglement climatique. Mais que MAHAL ne nous empêche pas de rendre temporairement les armes et d'embrasser la délicieuse léthargie de cette oasis pop qui n'en finit pas de révéler ses qualités à mesure que les réécoutes se suivent, mais ne se ressemblent pas.