Magic Oneohtrix Point Never

Oneohtrix Point Never

Warp – 2020
par Aurélien, le 4 décembre 2020
7

Ça y est, Daniel Lopatin est mainstream. Oh bien sûr, il n’y a qu’à regarder son CV pour réaliser que ce n’est pas vraiment une surprise : il a à son actif deux B.O. pour les très hype frères Safdie, des collaborations avec James Blake et plus récemment The Weeknd, et on a même pu voir Emily Ratajkowski s’exposer avec une casquette OPN sur Instagram. Forcément, les fans de la première heure jouent les pisse-froid, un peu à l’instar de ceux qui, à l’époque, regrettaient qu’Animal Collective ait pondu Merriweather Post Pavilion plutôt que de continuer à sortir des vomis électroniques indigestes en toute confidentialité. Pourtant, quand on se rappelle au souvenir de Age Of en 2018, on sentait déjà que Oneohtrix Point Never était en train de passer un cap, s’épanouissant bien au-delà de ce qu'il proposait depuis Replica, en étendant notamment au champ lexical du rock progressif sa formule faite de glitches, de boucles et de voix désincarnées. 

Pourtant, à la question de savoir si ce Magic Oneohtrix Point Never est un disque grand public, on répondra simplement : non. Non, le commun des mortels ne s'y retrouvera pas dans un disque comme celui-ci : OPN continue de produire une musique accidentée, un kaléidoscope permanent. Par contre, et ça c’est une première, il est susceptible pour le quidam d'y trouver ponctuellement son compte, à la faveur de quelques singles qui fonctionnent comme des mouches emprisonnées dans une toile d’araignée bien moins engageante qu’elle en a l’air – et en cela, la pochette du disque a la valeur de précieux avertissement. Cerise sur le gâteau de la hype, le disque peut compter sur la voix de The Weeknd  sur "No Nightmares", en plus de laisser la superstar canadienne du R&B occuper le siège de producteur exécutif de ce disque paru chez Warp. Le piège était parfait : avec la caution Abel Tesfaye, OPN entre dans le business des playlists pour une poignée de titres. Et c’est probablement ce qui a permis à cette nouvelle livraison de profiter d’un succès commercial plus conséquent que ses précédentes livraisons.

Au-delà de ce coup de poker joué à une époque dirigée par les algorithmes, quid de la musique ? Disons que si l’on devait le résumer très simplement, Magic Oneohtrix Point Never est à la carrière d’OPN ce que le Magical Mystery Band est à la discographie des Beatles : une parenthèse enchantée au milieu d’une discographie vide de concessions, une joyeuse balade sur la Route Arc-en-Ciel de Mario Kart – bref, on est loin de la radicalité de Garden Of Delete ou de R Plus Seven. Avec sa myriade d’intervenants ponctuels (Arca, Caroline Polachek de Chairlift) qui se retirent pour mieux laisser parler les machines et les guitares électriques, Magic Oneohtrix Point Never est un long dédale de couloirs dont les couleurs vives des murs ont été jaunies par des ambiances éminemment 80s, pour un disque qui, au final, se déguste comme on regarde une vieille VHS.

Si les singles de Magic Oneohtrix Point Never donnent le sentiment de vouloir flatter les masses – se rapprochant ce faisant du After Hours de son nouveau BFF –, le produit fini n'en reste pas moins très intéressant à l'échelle de la discographie de Lopatin, en reprenant les choses là où il les avait laissées deux ans plus tôt. Mais surtout, ce disque nous faire réaliser que l'on vit une belle époque pour la musique : si en 2020, OPN et The Weeknd arrivent à être les deux faces d’une seule et même pièce, c’est que ces rapprochements que l’on pensait de l’ordre du mash-up bizarre il y a quelques années seulement relèvent aujourd'hui d'une réalité concrète. En d'autres termes, on a jamais été aussi proche d'une collaboration entre Gucci Mane et Boards Of Canada, comme le prophétisait cette formidable mixtape de 2013

Le goût des autres :