Machine
The Bug
Cette chronique ne sera rien d’autre qu’un long requiem. Un hommage sérieux, quoique rapide, aux quelques milliers de clubbers qui ont, à un moment donné, foutu les pieds dans une soirée Pressure. La froideur du mythique Kreuzberg abrite une maison qu’on appelle le Gretchen. Et cette cave berlinoise sur papier sans histoire a été le temps de dix résidences le laboratoire expérimental du one-man-army Kevin Martin aka The Bug. Et si les line-ups successifs des soirées Pressure sont d’un sérieux qui fait encore rêver aujourd’hui (Coki, Stephen O’Malley, Andy Stott, Shackleton, Pole, Kahn, Dis Fig, Flowdan, Terror Danjah, Porter Ricks ou Bill Kouligas s'y sont succédés), The Bug, comme Brad Pitt dans Snatch, avait un tout autre plan. Ces soirées-concept étaient pour lui l’occasion de produire des EP’s pour son propre label, destinés à être joués au moment de ces grandes célébrations. Cinq formats courts pour cinq Machines (I-V), aujourd’hui compilées par Relapse Records.
Et il ne faudra pas être grand chroniqueur pour comprendre l’intérêt de ces cinq courts formats, à savoir arracher littéralement tout ce qui est à son contact : le soundsystem, le sol, les murs, les oreilles des clubbers, la porte (chambranle compris) et la matérialité elle-même. Si la longue carrière de The Bug l’a amené à être considéré comme le boss de fin de niveau de l’infrabasse, il semble que jamais le curseur n’a été placé aussi haut en terme de percussion. Et il faut bien le dire, de cassage littéral de nuques.
Machines I-V c’est une heure et demi (disponible également dans une version courte de cinquante minutes) de monde apocalyptique où tout est pistons démesurés, souffles brûlants, gigawatts de poussées et infrabasses assourdissantes. On a l’habitude avec Kevin Martin de ne pas négocier avec les superlatifs quand il s’agit d’évoquer sa puissance de feu, mais là c’est encore d’un tout autre ordre. La composition est intégralement orientée vers le live et l’unique but de cette entreprise est de produire ce qui peut se rapprocher du matériau sonore le plus puissant à ce jour. Une sorte de nouvelle arme nucléaire - The Bug parle précisément de ces titres comme de « floor weapons » - destinée à repousser les limites de la percussion auditive. Pas ou peu de mélodie, pas de séquence autre que celle de la mécanique et de la répétition : on charge l’obus à son endroit, on calibre la trajectoire correctement (c’est-à-dire dans ta petite gueule) et on pilonne.
Le tout ne sonne comme rien d’autre qu’une énorme pelletée heavy - bien à sa place sur Relapse Records cela dit, qui réédite cette collection de EP’s après avoir ressorti de sa cave tous les classiques de Techno Animal l’année passée – dont l’intérêt pourrait sembler assez limité en dehors d’une logique stricte de club. Une sorte de rhinocéros incroyablement fâché, posé sur un tank Sherman, lui-même arnaché à un porte-avion de classe Nimitz, qui rentre à 120 à l’heure dans un magasin de porcelaine. La hauteur de ce disque se compte uniquement sur sa capacité à faire des dégâts. Il n’a aucune autre vocation en dehors de consolider la légende de ce grand seigneur qui évolue aujourd’hui dans des strates dub proprement intouchables.
Arrivé à la fin de ce papier, on se souvient alors d’une interview pour le magazine Wire dans laquelle Kevin Martin, agacé d’être sans cesse intégré à une scène dubstep à laquelle il ne s’est jamais identifié, rappelait avec tout le sérieux et la froideur que cela demande que la percussion de ses riddims n’avaient aucune autre influence que les coups de ceinture dans la gueule à répétition que lui foutait son daron tout au long de son enfance. Jamais donc The Bug n’a semblé aussi sincère que sur ce Machines I-V. Et c’est bien entendu une écoute obligatoire.