Lucifer On The Sofa
Spoon
Les groupes indie qui durent ou qui s’accrochent, il y en des tas. Mais ceux qui tiennent encore la route après 25 ans, voire qui se bonifient avec les années, ça ne court pas forcément les clubs. Spoon fait bel et bien figure d’exception et confirme donc cette règle un peu boiteuse si l’on passe en revue ces albums sortis avec une régularité rassurante depuis 1996. Et si on avait accroché de suite à Telephono, premier essai hyper dynamique sous haute influence Pixies, c’est quatre disques et dix ans plus tard que Spoon s’est définitivement imposé dans le paysage indé américain avec ce qui est devenu un mini-classique, Gimme Fiction.
On pourrait dès lors parler d’une affaire qui ronronne volontiers et se résigner à dire que rien ne ressemble plus à un album de Spoon qu’un nouvel album de Spoon, ce qui n’arrange pas à nos affaires de chroniqueur. Ce à quoi on est tenté de répondre façon Normand : oui et non. Car au final, sans jamais vraiment avoir joué la carte de l’originalité à tout prix, Spoon se révèle être un peu unique en son genre. Et puis la force et la singularité du groupe est justement d’avoir sans cesse creusé un même sillon tout en veillant à varier les plaisirs juste ce qu’il faut pour maintenir la flamme. La leur très certainement mais aussi celle d’un public fidèle.
Et cette étincelle, c’est notamment ce soin à ne jamais sortir une mauvaise chanson doublée à celui apporté au son et à une production qui fourmille d’idées, jamais tapageuse mais toujours un peu plus aventureuse que la moyenne. Une marque de fabrique que l’on doit aux deux membres fondateurs, le frontman et principal songwriter Britt Daniel et le batteur et coproducteur de plusieurs de leurs albums, Jim Eno. Une constance implacable qui fait qu’au final, n’importe lequel de leurs dix disques pourrait faire office de porte d’entrée pour qui voudrait les découvrir.
Pour les autres qui auraient un peu lâché l’affaire depuis le dernier Hot Thoughts aux contours un brin plus synthétiques, Lucifer On The Sofa s’impose vite comme un petit condensé de tout ce qu’on aime chez Spoon. En gros, faire sonner vrai et juste des guitares et des claviers qui ne le sont pas toujours et faire beaucoup avec ce qui semble n’être pas grand-chose à la première écoute. On retrouve donc avec plaisir ce groove tout en retenue mené par les rythmiques décalées du sorcier Jim Eno ("Feels Alright") et encore et toujours la voix de Britt Daniel qui fait des merveilles tout au long de ces dix titres enregistrés chez eux à Austin.
Et même si on croit être en terrain archi-connu, on finit toujours par céder au charme de Spoon ("Satellite") ou à être surpris, comme par cette idée de reprendre Smog ("Held") pour ouvrir le bal. En pleine possession de leurs moyens, les Texans prouvent une fois de plus que l’on peut faire perdurer une formule sans pour autant se reposer sur ses lauriers. D'ailleurs, si le futur du rock classique sonne comme "Wild", on a de suite moins peur de vieillir. Et donc au passage, pour l’album de trop ça n’est pas encore pour cette fois.