Love Streams
Tim Hecker
Faut-il encore présenter Tim Hecker ? En 15 ans de carrière, le Canadien a réussi à se hisser au sommet de la chaine alimentaire de l’ambient. Et s’il est aujourd’hui le porte-étendard d’une scène pourtant immensément vaste, condamnant des artistes comme Fennesz, Lawrence English ou Rafael Anton Irisari à devoir se contenter des miettes de la reconnaissance critique, cela s’explique parfaitement par l’ampleur et la diversité des travaux du Canadien : de la beauté simple du drone ambient des débuts aux cathédrales sonores de Virgins, Tim Hecker a toujours préféré bouleverser ses habitudes plutôt que de perfectionner dans ses travaux une unique approche.
Après l’intégration d’instruments à partir de Ravedeath 1972, Hecker choisit donc d’ajouter sur ce Love Streams le plus ancien instrument (et probablement le plus utilisé) qui soit : la voix. Pas pour communiquer un quelconque message, mais pour au contraire désorienter un peu plus.
Reprenant les structures de Virgins, Tim Hecker nous fait encore évoluer dans des édifices au bord de la rupture, les ambiances de fin du monde en moins. Il fait en effet rentrer bien plus de lumière dans ses constructions, notamment en adoucissant les différences de ton entre les parties électroniques et acoustiques, là où Virgins faisait au contraire tout pour les mettre en avant. De ce précédent album ne reste dès lors plus que l’aspect quasi-sacré, comme si après avoir bâti une cathédrale il fallait bien un chœur pour l’habiter.
Et si on se demande ce que peut bien proposer Hecker au début de l’album (la faute à une introduction assez inintéressante), les constructions mélodiques mises en place par la suite forcent le respect, tant celles-ci semblent émerger au détour d’une voix étirée, pour aussitôt replonger dans le brouillard, le temps de muter et revenir. Hecker fait ainsi subir à ses chœurs le même sort qu'au piano de Ravedeath 1972, les torturant et les rompant pour mieux les ré-assembler quelques secondes plus tard, façonnant ainsi un ensemble fragile et bancal, aux allures baroques. Symbole de cette fragilité, le thème de la chute est parfaitement incarné par "Collapse Sonata" un morceau faisant directement référence à l’effondrement de la scène sous les pieds d’un orchestre chinois pendant une prestation - orchestre par ailleurs représenté sur la pochette du disque.
À l'écoute de Love Streams, on en vient finalement à se demander quelle pourrait bien être la prochaine étape dans la discographie de Tim Hecker, lui qui a œuvré à la construction d'édifices splendides dont il a orchestré la déconstruction méthodique. Car loin d'entendre un artiste révolutionner sa musique, on a avant tout ici l’impression de l'entendre se livrer à une très belle synthèse de ce qu’il a pu proposer ces cinq dernières années. Bref il faudra attendre encore un peu avant de vraiment pouvoir crier à nouveau au génie.