Lost and Found
Buena Vista Social Club
Avec le reggae, la musique latino est un de mes nombreux plaisirs coupables. C'est-à-dire que je conçois parfaitement qu'on puisse être hermétique aux saveurs hypnotiques de la dub de Scientist ou à la musique d'ascenseur de Joaõ Gilberto. C'est pourquoi je vous invite gentiment à poursuivre votre zap de Spion sur une page annexe si le jazz afro-cubain n'est décidément pas votre came. Mais comme vous êtes une personne curieuse et ouverte d'esprit, j'imagine que je vais devoir soigner ma prose car vous allez bien entendu lire cet article jusqu'au bout pour que je vous convainque de donner leur chance à Ibrahim Ferrer et toute sa clique.
Comme toujours lorsqu'on aborde une compilation d'inédits, la sempiternelle question reste de savoir si l'on a affaire à une opération marketing puante ou si celle-ci est motivée par la philanthropique valorisation d'un patrimoine. Dans le cas de Lost and Found, c'est assez difficile de trancher, tant la musique qui y est proposée va du magistral au superflu.
Pour rappel, l'album Buena Vista Social Club (1997) avait suscité un enthousiasme que peu de disques de "musique du monde" avaient réussi à obtenir jusque là, remettant au goût du jour les musiques latines populaires que sont le son, le bolero, le mambo ou la rumba. Les sessions d'enregistrement, étalées sur quelques jours, avaient été orchestrées par le génie du bottleneck Ry Cooder, qui désirait à l'origine organiser une rencontre entre des musiciens cubains et africains. Les pauvres africains ayant été retenus dans leurs pays faute d'obtention de visa, Cooder et son collègue Juan de Marcos Gonzàlez durent redoubler d'efforts pour réussir à dégotter des légendes oubliées de la musique cubaine et centrer l'initiative ethnomusicologique sur la redécouverte d'un passé culturel absolument hallucinant par sa richesse. Ainsi, au cours de leurs investigations, Cooder et Gonzalez réussirent à tomber sur de vraies perles comme le pianiste virtuose Rubén Gonzàlez, rongé par l'arthrite à l'époque, le contrebassiste Orlando "Cachaito" Lopéz, neveu du mythique Cachao, le chanteur flegmatique Compay Secundo et le tout aussi emblématique Ibrahim Ferrer, le "Nat King Cole cubain", selon Cooder. Tous les quatre sont décédés à présent, peu de temps après avoir goûté au succès d'un album qui est devenu disque de platine et aux joies d'une tournée mondiale triomphale.
Lost and Found propose un petit florilège de chutes de studio et d'enregistrements live captés pendant cette tournée, qui rassemblait sur scène jusqu'à 13 musiciens à la moyenne d'âge respectable. Dès le premier titre "Bruca Manigua", on tutoie les dieux du jazz torride avec ce rythme envoûtant, ces cuivres pyriformes, ces percussions ludiques et ce piano claudiquant employant des échelles harmoniques si particulières. Le second instant d'extase similaire s'expérimente à l'écoute du transcendantal "Bodas de Oro" qui nous pousse à nous demander les raisons de son absence dans le premier album. Par ailleurs, le morceau acquiert une dimension très émouvante lorsqu'on sait qu'il comporte le tout dernier solo de piano que Rubén Gonzalez a pu enregistrer de son vivant. Le reste de l'album est composé d'autres rebuts musicaux à la luminosité variable et d'extraits de concerts ou de jams qui raviront les aficionados du genre mais ne constituent pas un répertoire fondamentalement essentiel pour ceux qui ne s'y intéressent que de loin.
En fait, Lost and Found pourrait être vu comme une extension agréable au premier album du Buena Vista Social Club, plus faible que celui-ci d'un point de vue qualitatif mais loin de s'inscrire dans la redondance à finalité consumériste. Cela reste tout de même de la très grande musique, honnête et bla bla bla donc on ne peut pas parler strico sensu d'une arnaque éhontée. En gros, les connaisseurs lui mettraient un 9 et les pragmatiques, un 7. Et comme j'ai marché dans une gigantesque merde de chien ce matin, je me sens plutôt d'humeur pragmatique aujourd'hui.