Living Human Treasure
Italia 90
Personne ici n’a envie de revenir sur cette Coupe du Monde au Qatar. L’histoire retiendra un vainqueur et l’image d’un évènement conforme au monde en 2022 : bling à souhait et d’abord pensé pour une couche de la population aux poches bien pleines. Tant pis pour l’universalité du beautiful game. Autant de raisons d’activer le mode « turbo boomer » et regretter l’âge d’or d’un football populaire dont les têtes de gondole n’étaient pas des condensés d’arrogance ou de connerie abyssale.
La Coupe du Monde italienne de 1990, ou Italia 90, reste un bon exemple de ce temps que l’on dit révolu. Italia 90, c’est aussi le nom d’un groupe anglais. Et si on utilise une analogie footballistique, c’est pour pouvoir la transposer au genre de prédilection du groupe londonien, le post-punk. Ces dernières années, il a retrouvé les faveurs de la presse et du public, attirant dans le sillage de son succès des labels pas spécialement spécialisés, et des groupes qui s’engouffrent dans la brèche par paquets de douze. Et ce que l’on note rapidement, c’est que les formations dont on parle le plus ont souvent le même profil : des jeunes gens bien sous tous rapports, souvent issu d’une upper middle class cultivée, et dont la musique semble rarement en prise directe avec le monde dans lequel ils évoluent. Ainsi, si l’on trouve des qualités évidentes et incontestables aux albums de Squid, shame ou Fontaines DC, leur musique est aussi revendicative qu’une page Wikipédia, loin des fulgurances socio-politiques qui faisaient convulser la musique des pionniers, qu’il s’agisse de The Fall, The Pop Group ou Gang of Four, pour ne citer que quelques noms dont se revendiquent de nombreux acteurs de cette nouvelle déferlante post-punk.
En ce sens, Italia 90 fait un bien fou et remet le bordel de l’existence au centre du jeu – venant d’un groupe signé sur un label qui s’appelle Brace Yourselves Records, comment pouvait-il en être autrement ? En réponse à un quotidien qui perd ses repères, dans une Angleterre qui peine à se remettre du Brexit, cette musique-là, rugueuse et revêche à souhait, remet les pendules à l’heure avec la douceur du combattant de MMA qui achève son adversaire déjà sonné. D’un point de vue purement stylistique, Italia 90 ne fait certainement pas avancer le schmilblick ; c’est même le contraire tant le disque passe son temps à célébrer le passé musical avec une détermination un aveuglement remarquables. Mais c’est précisément cette capacité à utiliser les vieilles recettes d’hier pour faire entrer en résonance avec les dysfonctionnements d’aujourd’hui qui donne à la musique d’Italia 90 une pertinence que peu d’autres formations sont capables d’invoquer – dans ce registre-là, l’étalon-or reste les Sleaford Mods, avec qui on rêverait de les voir tourner.
Living Human Treasure arrive précisément au moment où le post-punk commence à se complaire dans un luxe de nouveau riche, et c’est à se demander si le groupe n’a pas choisi son timing. Car cela faisait déjà quelques années qu’il annonçait la couleur – ce violet qui colore les peaux tuméfiées, à grand renfort d’EP incandescents, gorgés de bombinettes crasseuses dont certaines se retrouvent fort heureusement sur ce premier long format – trop peu de gens ont entendu le monumental « New Factory » à sa sortie, et ne pas l’inclure au tracklisting de Living Human Treasure eut été criminel. Pour inaugurer une année dont on ne doute pas un seul instant qu’elle apportera son lot déprimes et de désillusions, Italia 90 réussit le petit exploit de délivrer la bande son du chaos permanent et le remède à l’angoisse existentielle qui en découle.