Live In London
Leonard Cohen
On ne devrait pas se réjouir du malheur des autres, mais le retour sur scène de Leonard Cohen pour cause de faillite personnelle fut la meilleure nouvelle de l’année 2008. Après 15 longues années de retraite monastique et d’albums plus ou moins en demi-teintes (Ten New Songs en 2001 et Dear Heather en 2004), voir le chanteur canadien en concert était un rêve que les plus jeunes d’entre nous n’osaient plus entretenir. Pourtant, le rêve est bien devenu réalité quand, à 73 printemps, l’auteur de "Suzanne" et de "Hallelujah" a repris la route pour se renflouer. Pour le plus grand bonheur des petits, des grands… et des fortunés.
Car aujourd’hui, voir une légende sur scène à un prix, plutôt élevé voire même carrément indécent dans certains pays, notamment en France où les tarifs pratiqués par le tourneur Gérard Drouot Productions mériteraient une dénonciation officielle et une lapidation en place publique, surtout à une période où trop de monde peine à joindre les deux bouts. Et malheureusement, à l’image de la tournée qu’il documente, Live In London sent le coup marketing à plein nez, la rentrée d’argent facile pour un artiste ruiné par son ex-manageuse, mais surtout pour son label et tous les autres vautours qui lui tournent autour. Il n’y a qu’à jeter un œil sur le packaging, l’un des plus laids qu’il nous ait été donné de voir depuis belle lurette, pour se rendre compte à quel point la réalisation de ce disque a été bâclée, en sachant pertinemment que les fans se rueraient dessus. Les uns pour retrouver le frisson d’un moment inoubliable, les autres pour se consoler d’être restés à l’extérieur de la salle.
Et la musique dans tout ça, me direz-vous ? Eh bien de façon assez miraculeuse, elle est la grande gagnante de ce remue-ménage : 25 morceaux et presque autant d’instants de grâce, de classiques intemporels à l’interprétation classieuse et inspirée, piochés dans l’ensemble de la carrière du Canadien. De Songs Of Leonard Cohen ("Sisters Of Mercy", "Suzanne") jusqu’à Ten New Songs ("In My Secret Life") en passant par l’incontournable I’m Your Man (très présent avec 6 morceaux sur 8, dont les mythiques "Tower Of Song" et "Take This Waltz"), ce témoignage live prend parfois des allures d’anthologie, avec tout de même quelques titres plus rares ressuscités pour satisfaire le fan de la première heure ("The Gypsy’s Wife", absolument bouleversant).
Bien sûr, il y a cette voix, encore plus profonde que dans nos souvenirs, qui pénètre la peau même pour le plus simple remerciement (le disque a d’ailleurs la bonne idée de ne pas couper les nombreux speeches du chanteur entre les morceaux). Mais il y a également un groupe, une véritable alchimie entre Cohen et ses musiciens, notamment ses choristes - Sharon Robinson, collaboratrice de longue date du canadien, et les Webb Sisters qui transcendent "If It Be Your Will" à la fin du concert. Et enfin, il y a cette relation si particulière avec le public, cette communion qui touche à l’intimité, même dans le cadre hautement impersonnel de l’O2 de Londres et ses quelques 17000 spectateurs.
A chaque instant, on tutoie le sublime, malgré cette utilisation toujours incompréhensible de synthés baveux à laquelle le Canadien nous a habitués depuis les années 80. Et c’est là le principal intérêt de ce Live In London : rien n’est retiré, rien n’est ajouté, tout est à l’image de ce qui sera sans doute la dernière tournée de ce géant de la musique moderne. Rarement un disque aura aussi bien retranscrit l’ambiance d’un concert et ça, ça n’a pas de prix. Tant pis pour les charognards…