Live at Sin-é
Jeff Buckley
Jeff Buckley le chantait lui-même : « It’s never over ». Comme chaque année ou presque depuis sa mort, voici un nouvel album d’inédits, supervisé encore une fois par sa mère, Marie Guibert, qui gère l’héritage de son génial fils en bonne commerçante qui sait toucher la corde sensible des adorateurs de l’auteur de Grace. "The Ultimate Fan Experience" : c’est écrit en gros sur la boîte. En clair, ça signifie que si vous n’achetez pas ce disque, alors vous ne pouvez pas vous revendiquer du clan des vrais fans de Buckley.
Est-il déplacé de relever dans cette chronique le caractère malsain de ces disques posthumes ? C’est surtout dorénavant une vieille rengaine, malheureusement totalement justifiée. Jeff Buckley, c’est Grace, et rien d’autre. Au mieux, tous les albums parus après son décès accidentel ne peuvent être considérés que comme des témoignages imparfaits de son génie, qui, lui, ne transparaît vraiment que sur cet unique album studio, le seul réellement abouti, le seul que Jeff Buckley ait jugé digne de publication.
C’est en tous cas l’impression que l’on a à l’écoute de ce nouvel enregistrement public, après le Live at Chicago et le Live at L’Olympia. Déjà sorti du vivant de Buckley, voici dix ans, dans une version beaucoup plus courte puisqu’elle ne contenait que quatre titres, ce Live at Sin-é paraît désormais dans son intégralité, sur deux disques de quatre-vingts minutes chacun. On y retrouve bien entendu les incontournables "Mojo Pin" ou "Grace", interprétés par Buckley seul à la guitare, ainsi que dix-huit titres inédits et totalement anecdotiques, des reprises de Bob Dylan, Nina Simone ou Led Zeppelin, ponctués de monologues. A noter que le coffret comporte en outre un DVD vidéo contenant une interview ainsi que des clips.
S’il paraît plus digne de publication que l’album Songs to No One sorti en 2002 et qui ne revêtait franchement aucun intérêt, ce Live at Sin-é version longue ne parvient manifestement pas à recréer la magie de Grace. Quoi de plus logique après tout ? Exclusivement dédié aux fans déjà totalement voués à la cause de Buckley, ce disque soulève néanmoins le même problème que la sortie des quatre inédits de Jacques Brel quelque temps plus tôt : il s’agit d’œuvres que leur auteur ne considérait pas suffisamment bonnes pour être mises à la disposition du public. Le fait que le Live at Sin-é de 1993 ne comprît que quatre titres est franchement révélateur de la volonté de Jeff Buckley.
Malgré tout, puisqu’il existe encore des fans assez dupes et atteints de collectionnite aiguë pour acheter ces disques posthumes pourtant largement dispensables, les ayant-droits de Buckley auraient tort de se priver de cette manne financière quasiment intarissable. On peut donc s’attendre à l’avenir à la sortie d’autres enregistrements de ce genre. Aucun n’atteindra le degré d’excellence de Grace, le seul qui mérite de figurer dans une discothèque idéale.