Live At Bush Hall
Black Country, New Road
Compte tenu de l’ambivalence émotionnelle façonnée par l’équipe Black Country, New Road depuis ses débuts, comment dépassionner l’écoute de ce Live At Bush Hall et aborder l’objet indépendamment des turpitudes dont il fut le fruit ? Voilà une question à laquelle il paraît impossible d’apporter une réponse, à moins d’avoir vécu ces dernières années dans une caverne - ou pire : la truffe fourrée dans les tops 50 - et d’être passé à côté d’un des meilleurs albums de 2022 ainsi que d’une des plus tristes nouvelles de la sphère musicale, et donc de découvrir ex nihilo les neufs inédits de cette captation live.
Dès les premières paroles prononcées, « Look at what we’ve done together », il est en effet clair que le spectre d’Isaac Wood, frontman du groupe ayant annoncé son départ quelques jours à peine avant la parution du fantastique Ants From Up There nous écrase de son absence. Comment ne pas sentir son petit cœur de guimauve s’étouffer de mélancolie lorsque scande « BC, NR : Friends forever » un groupe qui, à peine un an plus tôt, prit la lourde mais judicieuse décision de poursuivre l’aventure sans son Virgile ?
Fort heureusement, c’eût été ignorer le vivier de talents amalgamés sous l’étendard Black Country, New Road et la capacité du groupe à maintenir une qualité de composition inaltérée malgré l’affliction causée par le départ de Wood. BCNR version 2.0 s’offre le luxe de se penser et s’apprécier en tant qu’entité complète, finie, prouvant de ce fait que Black Country, New Road représente davantage qu’une simple addition de ses composantes. Une certaine idée de la résilience donc, qui se manifeste d’autant plus brillamment qu’Isaac Wood réside moins dans les anfractuosités de cet album que par l’impression permanente qu’il s’agit là tout à la fois d’un hommage, d’une déclaration d’amour, ainsi que d’une célébration à l’ancien leader du groupe. De quoi faire alors résonner chacune des paroles, fixer chaque inflexion de voix, chaque crescendo ou encore la moindre progression harmonique sur lesquels se retrouve projetée l’ombre d’un Wood qui confère ainsi et indirectement à ce Live At Bush Hall une puissance émotionnelle qui agit comme la meilleure thérapeutique face à quiconque souffrait de rétention aqueuse.
En somme, et pour une formation dont le procédé invoquait jusqu’alors plutôt la sagacité en studio qu’une efficacité live d’ailleurs discutée dans ces mêmes colonnes, ce Live At Bush Hall - magnifiquement enregistré et... filmé - témoigne de la transfiguration d’un groupe sans cesse impeccable lorsqu’il s’agit d’exposer un rock toujours plus arty et romantique, capable de réveiller les plus apathiques d’entre nous pour leur racketter quelques larmichettes ou l’innocent sourire d’heureux imbéciles.
Qui sait alors ce qu’il adviendra de ces neufs titres tantôt mélancoliques, déchirants, candides, tantôt emphatiques, intimistes, grandiloquents et si ceux-ci affronteront un jour ou non le marbre et la froide vérité du studio ? Peu importe finalement, puisqu’une seule vérité subsiste une fois ce Live At Bush Hall rangé au placard, celle d’un groupe qui, la vingtaine toujours pas révolue, encaisse et digère de la plus belle manière qui soit ce qui aurait laissé la majorité d’entre nous à terre, la gueule dans la boue.