Listen
Emanuel & The Fear
A une époque où le temps d'attention du mélomane moyen ne doit pas dépasser celui d'une vidéo reluquée sur YouTube, il faut avoir les baloches sérieusement accrochées pour sortir un disque affichant 19 morceaux et presque 70 minutes au compteur. D'ailleurs, ces derniers mois, hormis les Flaming Lips et leur exigeant Embryonic, rares sont ceux qui se sont aventurés sur le terrain toujours glissant de l'album à rallonge. Mais visiblement, ce genre de considérations, Emanuel Ayvas n'en a cure. Lui, ce qu'il veut, c'est qu'on le laisse faire joujou avec Emanuel & The Fear. En effet, entouré d'un groupe tout acquis à la cause de son géniteur, Ayvas propose un premier album que l'on serait tenté de qualifier d'audacieux et touffu.
D'un bout à l'autre de Listen, l'auditeur est confronté de manière permanente aux lubies d'un artiste qui prend un malin plaisir à alterner les genres et jouer avec les cassures. Folk, jazz, rock, pop, prog', tout y passe, et tant pis si les plus frileux ou les moins attentifs peinent à y trouver leur compte. Listen n'est pas un album qui accepte le compromis ou se digère facilement: clairement, il ressemble davantage au repas chargé en calories de grand-maman qu'à une salade bio qui vous laisse le ventre vide. Il suffit pour vous en convaincre de vous enfiler les quatre premiers morceaux de l'album: la palette d'émotions, d'instruments et de styles qu'on y rencontre est tout simplement bluffante et donne une petite idée des ambitions du bonhomme. Evidemment, on le sait, captiver son auditorat 70 minutes durant relève de l'exploit, et si Emanuel & The Fear avaient réussi leur coup, on aurait un peu plus parlé de Listen. Ce qui ne veut pas dire que ce premier effort est un indigeste pavé. Bien au contraire, il regorge de bonnes idées, de mélodies imparables et d'expérimentations alléchantes qui devraient séduire celles et ceux qui aiment, en vrac, Edward Sharpe & The Magnetic Zeros, ELO, Arcade Fire, Ben Folds ou Bright Eyes.
Au fil des écoutes, on comprend qu'il faut savoir séparer le bon grain de l'ivraie pour au final se retrouver avec quelques morceaux tout bonnement imparables, à l'image de l'enlevé "Jimme's Song (Full Band Version)" où les velléités symphoniques d'Emanuel Ayvas prennent la forme d'une pop song irrésistible à classer parmi les plus belles réussites de 2010, du joyeux "Dear Friend" qui n'aurait pas fait tache sur les meilleurs albums de Ben Folds Five ou d'un "Whatever You Do" limpide qui joue la carte de l'émotion sans jamais tomber dans le mielleux. Reste au final une certaine impression de gâchis, celle de se dire que si ce disque avait affiché au compteur 45 minutes plutôt que 70, il aurait certainement pu toucher un public énorme tant il semble pouvoir plaire au consommateur occasionnel comme au connaisseur. Mais Listen a au moins le mérite de nous faire découvrir un songwriter dont on reparlera certainement dans des publications plus populaires que celles-ci le jour où il aura appris que la gourmandise est avant tout un vilain défaut.