L'Homme orchestre
François de Roubaix
On connaît surtout Louis de Funès pour ses comédies potaches et franchouillardes. La Grande Vadrouille et les Aventures de Rabbi Jacob ne sont tout de même pas ce qu'on appelle des merveilles du septième art. Mais en parcourant la filmographie de ce grand acteur populaire, on note quelques lignes légèrement dissonantes, dont celles liées à cet Homme orchestre qui nous intéresse aujourd'hui. Comédie musicale survoltée de 1970, en duo avec son fils, l'Homme orchestre fait partie de ces beaux films qu'on a vite fait d'oublier faute de sérieux et de prétentions auteurisantes. Dommage, donc, puisque ce long-métrage n'en est pas moins une splendide expérience d'affranchissement formel. Définition du genre oblige, cette liberté de ton concerne de très près la dimension musicale du film. Alors François de Roubaix, la porte grande ouverte, n'avait plus qu'à s'en donner à coeur joie. Et de quelle façon!
On ne peut que se prosterner devant Stéphane Lerouge – responsable de la collection "Écouter le Cinéma" chez Universal – qui a eu l'idée lumineuse de rééditer cette bande-originale
après un pressage vinyl à seulement 100 exemplaires. Car ce qu'a composé et joué de Roubaix pour ce film vaut bien plus qu'une simple illustration sonore. C'est presque un manifeste, en tout cas un authentique témoignage d'une époque luxuriante où les Français faisaient rêver le monde entier avec leurs symphonies psychédéliques. De Roubaix n'a ici rien à envier à Jean-Claude Vannier (le responsable d'Histoire de Melody Nelson) en terme de polyvalence et de finesse d'écriture. En 22 titres expéditifs, tous les styles sont bombardés avec une insouciance hallucinante : on joue du rock, du jazz, du classique, de la musette, on crée des ambiances piano-bar ou broadwayennes comme De Funès nous sort sa série de grimaces. C'est fun, drôle et toujours juste.
De Roubaix bricole des instruments bizarres, produits des sons jamais entendus auparavant, appelle des dizaines de cordes à lui donner la réplique... on est dans une démesure hilare, dans une grandiloquence carnavalesque qui n'empêche ni le talent de s'exprimer, ni l'émotion de pointer. Et c'est donc loin de toute austérité que ce compositeur nous enseigne son génie, à travers une écriture-caméléon comique et émouvante sur tous les fronts, comme sur ce "Ballet du rêve" à hurler jaune de rire ou ce bouleversant "Yacht" typé Screamin' Jay Hawkins. En un mot miraculeux!