L'Être Humain et le Réverbère
Rocé
Le rappeur Rocé est un homme discret. Depuis 2002, il sort un album tous les quatre ans et, entre-temps, il se terre dans un silence médiatique total. Pourtant, après Identité en Crescendo, le meilleur album de hip hop en français de ces dix dernières années (osez dire le contraire...), la hype aurait pu exploser. Mais il n'en fut rien. Il faut dire que l'homme fait partie de cette race de MCs intègres, fidèles à leur préceptes, une caste dans laquelle ses prédécesseurs se nomment Fabe ou Flynt, par exemple.
Après la déferlante Identité en Crescendo, il a dû être dur d'enchaîner. Ce déluge de jazz combiné à des textes textes clairvoyants et forts résonne encore dans bien des têtes. Pourtant, à l'écoute de ce nouvel opus, il semble que cette folie artistique n'ait été qu'une simple parenthèse. L'Être Humain et le Réverbère semble être plutôt le successeur de Top Départ, disque bien moins contemplatif et plus urbain.
En effet, on retrouve ici des sonorités bien street faisant souvent mouche. On pense notamment à "L'Être Humain et le Réverbère" ou à "Des Questions à vos Réponses" qui sont deux morceaux efficaces. Les pistes plus aventureuses se font finalement rares, et on retiendra surtout "L'Objectif" et son beat déchaîné. Il semblerait donc que Rocé soit revenu au hip hop. Il ne l'a jamais fui, c'est certain, mais on revient ici à une logique de samples et de MPCs. Ceci étant, comme nous ne parlons pas ici d'un rappeur lambda qui se contente de répéter boucle sur 5 minutes, le choix s'avère efficace et on ne s'ennuie pas.
Au niveau des textes, en revanche, il est dur d'être totalement enthousiaste. Bien sur, cette chronique n'a pas la prétention de connaître le fin mot de l'histoire, mais avec une telle masse de paragraphes, il faudra du temps pour en faire le tour - d'ailleurs, on ressentirait presque une pointe d'indifférence à l'égard de certains textes. Il ne s'agit pas ici de remettre en cause le talent de l'une des meilleures plumes de la musique en France mais plutôt de constater une légère tendance à l'auto-caricature. On ne comprend pas très bien les thèmes de "Mon Crane sur le Paillasson" ou "De Pauvres Petits Bourreaux", par exemple. A force de vouloir aborder tant de sujets, Rocé se perd dans les méandres de sa prose. Il est parfois atteint du triste fléau du "trop de mot pour pas assez de sens", ce qui rend l'album parfois un peu indigeste. Ceci étant, on peut noter que d'un point de vue technique, son flow s'est nettement amélioré: il est bien plus fluide et élastique qu'à une époque où poser un texte semblait être pour lui une vraie souffrance.
Malgré ces quelques bémols, il serait ahurissant de blâmer Rocé avec un projet tel que L'Être Humain et le Réverbère. Nous avons ici à faire à l'album d'un MC surdoué et clairvoyant. C'est comme s'il n'avait plus assez d'un disque pour exprimer tout ce qui lui passe par la tête. En se recentrant sur une logique plus hip hop, il va probablement toucher de nouveau une audience élargie et c'est une excellente nouvelle. Néanmoins, on ne peut s'empêcher de penser que Rocé a peut être plus la carrure d'un écrivain (et d'un très bon) plutôt que celle d'un rappeur.