Les derniers salopards
Maes
On lui prédisait un destin à la Kaaris époque Or Noir, on s’est plantés. S’il n’est pas devenu la nouvelle égérie de Sevran, Maes connaît néanmoins un fort joli succès, quand bien même il a refusé une signature sur 92i, optant plutôt pour des retrouvailles régulières avec le patron Booba histoire de se mettre les ratepis dans la poche. Mais l’important est ailleurs : avec Pure, premier album studio sorti en 2018, Maes avait réussi à proposer un disque plus chanté, sans que ça ne semble trop forcé. Conscient de la difficulté à gagner de l’argent sur la seule street crédibilité, Pure était parvenu à tordre le talent du séquano-dyonisien pour l’adapter à un mood résolument FM, pris en sandwich entre des poussées de sueur drill et l'envie de jouer le bandit lover. Un laboratoire bordélique franchement tiré vers le haut par un lot d’obsessions solides ("Zipette" <3) qui nous ont laissé le sentiment satisfaisant que, même si ça rappe moins, ça n’en reste pas moins d’excellente facture.
Stakhanoviste comme l’impose désormais le marché, avec un rythme de publication de disques de plus en plus resserré et une visibilité ininterrompue garantie par les featurings, Les derniers salopards débarque moins de deux ans après Pure avec l'étiquette de première grosse sortie de rap français de 2020 et sans surprise s’inscrit dans la continuité de son prédécesseur : c’est un disque à la gloire de la topline, aux mélodies que tu écoutes dans le métro qui t’emmène au boulot, et qui restent gravées dans la boite crânienne jusqu’au trajet du retour. S’il a pour lui une vraie capacité à empiler les tubes et joli brin de voix corrigé au Melodyne, le constat reste sans appel : pauvre en expérimentations et en prises de risques, Les derniers salopards rate sa cible.
En s’imposant comme la nouvelle variété, le rap est devenu une musique prisonnière de ses codes et d’un cahier des charges qui ne bouge pas d’un disque à l’autre. Au regard du paysage actuel du rap français en 2020, ça se vérifie plutôt bien : c’est d’une criante uniformité, au point qu’on se demande s’il ne sera pas bientôt possible d’interchanger les noms sur les disques sans que ça ne change trop l’expérience utilisateur. En un mot comme en cent, la Heusslenfoirétisation du rap est en marche, et logiquement quelques-unes de ses plus grosses vedettes ont fini par se prendre les bourses dans la tapette à rat : les grosses sorties ressassent les mêmes thèmes, usent des mêmes couleurs, et tentent de pondre des tubes à une cadence industrielle. De quoi permettre à tous ces princes du streaming d’ouvrir au pied de biche les portes du mainstream, mais également de faire disparaître tout ce qui faisait le sel de leurs personnages, à une époque où ceux-là s’exprimaient sur des mixtapes plutôt que des albums. Et Maes n’échappe pas à la règle ici.
Qu’on se le dise pourtant : la qualité très relative de son petit dernier ne l’empêchera pas de tutoyer les sommets des charts et d’enchaîner les showcases – et vu comme on apprécie le bonhomme, ça nous va bien. Sur Les derniers salopards, tout est fait pour que ça marche, tout est exécuté sans audace, comme une mauvaise habitude dont on peine à se débarrasser. Enfin, le disque est frappé de la malédiction des troisièmes superproductions : comme sur Ce monde est cruel, Mr Sal ou Lithopédion, après l’expérimentation, l’heure est au confort des acquis, aux formules light et aux courbettes devant les dictateurs du stream. De quoi faire joliment grossir sa SACEM de Sevranais à défaut de le faire entrer dans les livres d’histoire. Même si, dans le fond, il est clair qu'on rêve secrètement qu’il se réserve de telles ambitions pour le disque suivant.