Les choses qu’on ne peut dire à personne
Bertrand Burgalat
Dans l’ombre de Bertrand Burgalat se cache toute la variété, toute la variétoche, tous les disques à la demande, toutes les discothèques de jour, tous les adultères de quais de gare pas tout à fait consommés, tous les lieux pop et tristes. Bertrand a la légitimité des gens pas à la mode. Il semble avoir déjà été chez vos parents, au rôti du dimanche entre le verre de porto et Incroyable mais Vrai, à jouer du piano debout avant que l’idée de cette attitude ne prête aux moqueries légitimes. Avec sa classe, Bertrand nous ramène dans ses endroits sans heure aux murs de velours, nous fait penser à Madame Claude, à Emmanuelle, aux hôtesses à cigarettes, au Belmondo des beaux jours, à Melville et enfin à François de Roubaix.
Par son entreprise de produits frais mais à l’ancienne, façon Lui première période, Bertrand nous rappelle qu’il fut un temps où le moindre morceau du hit parade se devait d’arriver en costume en alpaga, ceinture Lanvin, foulard Cardin ; que le son n’était pas continu, que l’on avait droit à de l’interlude et que chaque interlude se devait d’être une respiration, une promesse. Que le moment qui vous était offert ne serait pas oublié dans 15 minutes entre une rediffusion des Experts et une chronique à perruque rigolote.
Quand perce la voix justement fausse, sorte de Katerine qui n’est pas là pour la blague et qui aurait cette présence d’esprit de revenir au jardin anglais, elle évoque ces films à regarder les yeux fermés, tant un Trintignant ne nécessite pas que l’on tourne autour de lui jusqu’à en vomir ses moules. On se prend alors à rêver d’une rencontre avec Fanny Ardant malencontreusement souillée par le name dropping de Vincent Delerm, alors que Bertrand lui aurait offert un bouquet de haïku. Cette voix se pose dans un anti-lyrisme, s’excuse même presque et pourtant cette maladresse, ce léger chuintement d’une bouche trop fermée nous réjouit de fredonner faux, car nous non plus nous ne seront jamais chanteur à midinettes.
Alors certes, l’on pourrait soupçonner que cet emballement reflète une énième pose à la “Aaaaah la chanson française, c’était mieux avant” et l’on aurait pas tout à fait tort. Mais quand vient la vision d’une chanson française actuelle qui se résumerait avec mauvaise foi à une farandole de groupes de cover ou à une ribambelle de gangsters autotunés, on se dit que Bertrand devrait passer enfin en première division. Cela ne s’appelle pas de la pop mais de la variété.