Les Arbres
Nicolas Bernier
Décrire un disque comme Les Arbres a tout d’un exercice fastidieux. On commencera par dire qu’il s’agit là d’une collaboration entre le producteur originaire de Montréal Nicolas Bernier et son compère urban9, ce dernier œuvrant comme artiste visuel. Mais au-delà des mots, Nicolas Bernier tend à créer une véritable machine de sentiments, rendant la tentative de justification de mon engouement vaine et presque inutile. Coincé entre une musique acousmatique abyssale et une dérive des matériaux électroniques les plus divers, Les Arbres se dégage rapidement des schémas souvent froids et monochromes imposés par la musique concrète.
C’est que l’ensemble est sûrement trop bien pensé et orchestré pour y avoir quoi que ce soit à redire. Basé sur de longues envolées solitaires d’un piano qui s’abandonne à des improvisations presque aléatoires, les titres composés par Nicolas Bernier dessinent avec lenteur des paysages désertés, rongés par la vermine. De plan séquence en plan séquence, on découvre un savoir-composer hors norme, bien souvent mis en pratique par des glissements abrupts, des ruptures qui nous ouvrent subitement les portes d’un autre théâtre, ou se joue une autre fin du monde. Ces pianos mélancoliques ne seraient bien évidemment rien sans l’orchestration minimaliste qui les entoure : grésillements électriques, vibraphones, guitares et cuivres en tous genres font dévier ces lignes mélancoliques de leur tentation sentimentaliste pour mieux orienter l’auditeur vers une introspection inévitable et douloureuse.
A ce titre, la prose de Nicolas Bernier n’a rien de féérique, il travaille sur le plan de la finalité bien humaine qui le compose en s’assurant de vider sa musique des vieilles composantes ésotériques qui mineraient le sérieux du propos. Les six pistes de ce projet colossal abordent des ambiances violentes par leurs pouvoirs d’évocation, par l’interaction sensée de leurs composantes. Et dès que tout aura fondu à vos côtés, vous pourrez apprivoiser la bête et jouer avec à découvrir les plaines et montagnes d’un monde où se côtoient fourmis mécaniques, ombres fantomatiques, geysers émotionnels et autres escaliers de cordes déchirantes. Pas étonnant alors qu’on parle de photographie sonore, de captation, de fixation, de réformation sonore, de bricolage ou encore d’archivage au sein de cette superproduction.
C’est que finalement, Nicolas Bernier est un maître en la matière, un élève appliqué qui, plein de références dans les poches, retranscrit avec passion l’enseignement du savoir que renferme la musique électro-acoustique qui lui a été inculqué à l’université de Montréal. Mais au-delà des schémas carrés et coincés que peuvent renfermer un cursus universitaire, Nicolas Bernier explose littéralement en proposant une perle electronica/concrète/classique/ambient/noisy dont le retentissement a une portée universelle. Un disque qui laissera très certainement des traces à tous ceux qui auront le bonheur d’y laisser traîner une oreille. Passionné et passionant.