leaving meaning.
Swans
Et si finalement, la clé de la rémission, c'était la déconstruction ? C'est la question très sérieuse que l'on peut se poser avec un cas d'école comme celui de Swans. Si la formation de Michael Gira a toujours profité du bourdonnement des démons de son chef d'orchestre, c'est son line-up en perpétuelle mutation qui semble avoir permis au groupe de sortir de ses partitions claustrophobes pour offrir à sa musique un tant soit peu d'air et de lumière. Une recette qui ne bouge pas d'un iota sur leaving meaning., sinon que c'est un Gira encore un peu plus loin du jeune homme torturé des années Filth, et un peu plus près de Leonard Cohen, que l'on retrouve le temps d'un disque aride mais baigné par la lumière. Grand bien lui en fasse : ce décor désertique sied à merveille à ces longues plages de musique qui embrasent le néant.
Quand commence ce nouveau voyage, l'heure n'est pas à l'enfermement. Sur "Hums" puis "Annaline", il est six heures du matin sur l'horloge de la fin du monde, et on contemple un interminable lever de soleil. L'humanité n'est plus qu'un souvenir, et seule demeure cette troupe de musiciens et leur envie irrésistible de jouer ensemble une ultime fois avant de rejoindre les proches qui les ont précédés. Alors que le soleil grimpe doucement dans le ciel, c'est une sécheresse paisible qui s'installe, à peine troublée par un glockenspiel discret, un accordéon en fin de vie, ou une batterie enlevée. Autant d'éléments qui semblent retenir le crépuscule un ultime moment, avant que ne s'entame une longue traversée du désert. Le moment est désormais venu pour la troupe de ressortir de son arsenal ses ritournelles de guitares, hypnotiques et torturées, et elles ne seront pas de trop pour combattre en vain cette fin à laquelle ils doivent tous répondre.
Au tout devant de cette horde du contrevent, c'est évidemment Gira que l'on retrouve, combatif et conquérant, mais aussi plus gracieux que jamais malgré ses soixante-cinq berges. Il n'a pas tout à fait enterré sa noirceur, mais la palette d'émotions qu'il invoque ici à quelque chose de l'ordre du chamanique : il semble ici danser avec ses démons autour d'un bûcher ardent. Il semble même laisser cet environnement hostile le pénétrer, si bien qu'il chante comme un possédé, tandis que la troupe vient encadrer à la perfection toutes ces poussées de fièvre. Cette alchimie totale entre le leader et sa formation, elle s'étale sur une heure trente de musique, pour ce qui ressemble à l'un des disques les plus courts de Swans depuis un long moment tant on perd toute notion du temps qui passe après quelques titres. L'heure est à la transe, à l'abandon de soi, et à la dissolution des chairs et de l'esprit. En ce sens, leaving meaning. traduit quelque chose de dramatiquement beau : l'urgence d'une troupe bien consciente de jouer une dernière valse avant de retourner à la poussière. Qu'importe donc qu'ils la jouent fort, la jouent faux ou qu'ils la jouent la en vain : le plus important, c'est que ces notes fassent vibrer une dernière fois leurs élans d'humanité.
Stupéfiant par la retenue qu'il impose tout au long d'un voyage qui multiplie le grilles de lectures, on pourrait largement voir en leaving meaning. un western de fin du monde tant tout y paraît éteint, bouclant cet opéra sur le schizophrénique "My phantom limb" qui semble rappeler que le Swans des débuts n'est jamais trop loin de ce paysage mortuaire. Pourtant, au beau milieu du vide, il y a l'inhabituel optimisme de Gira, magistral, qui porte la musique de sa troupe au-delà des étoiles dans un voyage passionnant et personnel, façon Solaris ou Interstellar. Mais quelque soit la lecture qu'on en fait, l'issue ne change pas trop : leaving meaning. est un incroyable disque et ce, que ce soit pour découvrir Swans, ou pour redécouvrir son membre fondateur sous des angles nouveaux, pleins de lumière. Voire tout simplement pour flotter en apesanteur, le temps de quatre-vingt dix minutes de musique qui demeureront dans le haut du panier des disques parus cette année.