Le Garçon et le Héron (OST)
Joe Hisaishi
« Les mots ne nous servaient pas, mais dans les maquettes de musique qu’il m’apportait, j’entendais qu’il comprenait le film. » Lorsque Claire Denis parle de son travail avec Stuart Staples des Tindersticks, elle met en lumière toute l’importance de la relation entre un·e réalisateur·rice et un·e compositeur·rice. Puisqu’on ne peut pas filmer le son et qu’il ne s’agit pas uniquement de mettre en musique les images, il va falloir deux personnes qui s’entendent bien et se comprennent parfaitement. Et dans la liste des Denis-Staples, Leone-Morricone ou Almodovar-Iglesias, le duo formé par Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi est probablement l'un des plus légendaires. À part pour le premier film du réalisateur japonais, Le Château de Cagliostro, Hisaishi a composé toutes ses bandes originales, de Nausicaä de la vallée du vent à ce qui était jusqu’à cette année son dernier en date, Le vent se lève, sorti en 2013. Aujourd’hui, Miyazaki et Hisaishi ont respectivement 82 et 72 ans, et alors que leur carrière semble derrière eux, ils sont à nouveau réunis pour Le Garçon et le Héron, sorti cet été au Japon, le mois dernier en Europe.
Et à n’en pas douter, Le Garçon et le Héron est un film très, très spécial. Comment ne pas penser qu’il s’agit du dernier de Miyazaki ? On a l’impression qu’il annonce sa retraite depuis Le voyage de Chihiro en 2001, mais étant donné qu’il met dix ans à faire un film, le doute est mince. En cela, la musique composée par Joe Hisaishi se doit d’à la fois prolonger cette belle collaboration et de la conclure d’une manière toute spéciale.
À l’image du film, la bande originale du Garçon et le Héron est très émotive, en témoigne le thème d’envol « Warawara’s flying away », cernant tout le mystère de ces noiraudes éthérées, qui semblent faire le pont entre la vie et la mort. Les bois les plus pinçants comme le hautbois ou le basson, qui servaient à rendre le mouvement des esprits de la nature, sont délaissés au profit des cordes et des cuivres. En cela, Hisaishi poursuit son travail de direction récent, lui qui a passé beaucoup de temps ces dernières années à orchestrer les symphonies de Brahms. C’est probablement ce qui lui a permis d’en arriver à des harmonisations aussi originales par rapport au reste de son travail pour Ghibli que le thème cosmique de « The Great Collapse », ou le magnifique « Going Home ».
Plus personnel donc, le film est aussi nettement symbolique. Miyazaki y confronte sa peur de la mort, se diffusant en une myriade de confusions mentales et esthétiques, sur la valeur de son œuvre, sur la possibilité de la transmettre (lourde pression sur son fils Goro Miyazaki et le petit-fils à qui est dédié le film). En résulte une musique qui s’appréhende par la multiplicité et la fragmentation, abandonnant consciemment une certaine unité pour gagner en profondeur. C’est le thème de Himi, volontairement à part, ou tout simplement « Ask me why », celui que l’on entendra le plus et qui semble pouvoir tout accueillir sur le lit de ce piano si cher à Hisaishi.
Évidemment, c’est une musique qui s’écoute à l’écran, mais cette fois-ci peut-être plus encore que d’ordinaire, pour en sentir toute la mélancolie, mais aussi toute la maîtrise. En tout cas, si la collaboration entre Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi s’arrêtait là, elle aura tutoyé la perfection jusqu’à son terme.