Le Classico Organisé

Le Classico Organisé

Rien 100 Rien – 2021
par Yoofat, le 24 novembre 2021
5

JuL répondrait forcément par la négative, mais nous sommes en droit de nous demander s'il n'y a pas une limite à fédérer. Classico Organisé, le nouveau projet démentiel du plus gros vendeur de l'histoire du rap français, est un blockbuster taille 6XL. Imaginez un peu la pelle de Rohff, la danse de vandale de Don Choa, les locks de Koba laD ou encore la grinta altermondialiste de Keny Arkana, le tout produit par l'auto-proclamée "Machine" de ce rap jeu. L'ambition de Classico Organisé est telle qu'aucun Expandables, même celui avec Chuck Norris, ne soutiendrait la comparaison.

158 artistes étalés sur 30 morceaux pour un album un poil plus court que Le Parrain, soit 2H56 de posse cuts divers et variés. 79 rappeurs parisiens et 79 rappeurs marseillais, la parité parfaite, à ceci près que l'un de ces rappeurs, encore cette auto-proclamée Machine, s'invite sur 25 de ces 30 pistes. Étaler ces chiffres d'un coup permet de se rendre compte de cette impressionnante performance. Mais avant même de rentrer dans une critique intrinsèquement musicale, n'avons-nous pas des raisons de pleurer cette union de frères ennemis ?

On sait que la rivalité entre Marseillais et Parisiens a été montée de toutes pièces par le récemment regretté Bernard Tapie et les dirigeants de Canal + lorsque ces derniers étaient respectivement présidents de l'Olympique de Marseille et du Paris Saint-Germain et cherchaient à rendre la Ligue 1 sexy par tous les moyens nécessaires au début des années 90. Néanmoins, on sait aussi que si ladite rivalité entre la ville de Pedro Miguel Pauleta et celle de Mamadou Niang tient encore autant, c'est parce qu'elle puise évidemment sa source dans un contexte géographique et socio-culturel. Paris brille, Marseille trime, Paris tire la gueule, Marseille accueille à bras ouverts, Paris exhibe ses gazodollars à la face du monde pour gagner la Ligue des Champions, Marseille fait passer des mallettes en soum pour remporter la coupe aux grandes oreilles et faire la mala plus de 20 ans plus tard... Deux salles, deux ambiances, apparemment irréconciliables !

Cette rivalité, quand elle ne prend pas une tournure sinistre, on l'adore ! Au moins autant que toute l'équipe de Goûte mes Disques adore JuL. On aime la mauvaise foi et le chambrage, c'est plus fort que nous. Et avec ce nouveau projet choral que nous propose Julien Mari, on est beaucoup plus proche d'une version rap des Enfoirés que de l'animosité qui animait la fameuse "Boucherie" de 1992. Quitte à choisir le "Classique" comme référence principale à ce ralliement, on aurait préféré que le concept soit poussé un peu plus loin, avec des semblants de clashs, pourquoi pas, à l'instar des fameux "Zoxea vs Oxmo Puccino" ou "Aketo vs Tunisiano".

Malheureusement, JuL est certainement une trop bonne personne pour chercher à se castagner avec qui que ce soit. Comme Jon Snow dans Game of Thrones, Neo dans Matrix ou Luffy dans One Piece, JuL est une sorte d'élu venu apporter l'unification d'un univers face aux méfaits de la division. C'est bien évidemment sa plus grande qualité, mais c'est peut-être aussi la raison pour laquelle sa musique ne cesse de tourner en rond. Parce qu'il n'a de cesse de rester du bon côté de la Force, JuL en devient terriblement redondant, prévisible, et donc chiant. Le Classico Organisé n'apporte aucune évolution dans sa musique, il n'est qu'une gigantesque cour de récréation au brouhaha JuLesque que l'on connaît si bien depuis le temps qu'il nous harcèle de sa réussite auréolée d'or et de platine.

Quels enseignements peut-on tirer, malgré tout, de ces trois heures de musique ? Au-delà de l'incroyable capacité à fédérer de JuL déjà mentionnée ci-avant, on notera que SCH ne ratera probablement plus jamais le moindre de ses couplets, que Niro a sans doute amené la plus grosse patate du disque sur "Loi de la calle", ou encore que la plus grande qualité de Moubarak demeure d'être un très bon ami du J. Comme sur 13 Organisé, le grand écart entre quelques-uns des plus grands rappeurs francophones de l'histoire et ceux devant encore faire leurs preuves est abyssale. Mais comme sur 13 Organisé, l'intérêt n'est vraiment pas de faire comme bibi et d'ingurgiter toute cette musique d'une traite, mais plutôt de se la jouer Didier Deschamps et de sélectionner les morceaux qui nous intéressent. Petits et grands seront alors servis, car écouter SCH aux côtés d'Oxmo Puccino, Lino ou Rim'K sur "Légendaire" devrait ravir n'importe quel puriste qui aurait juré ne jamais se pencher sur JuL, de la même manière que les fans de la nouvelle génération auront raison de s'extasier sur "L'élégance" et les différentes mélodies inspirées de UZI, Lyna Mayhem ou le très talentueux Benab

En attendant l'épisode final, probablement un "Mundo Organisé" qui sortirait un peu avant la coupe du monde au Qatar (et auquel ne participera sûrement pas Jorja Smith!), ce Classico Organisé est une réussite évidente à l'ère du streaming où les nouvelles sorties, on le dit fréquemment dans nos chroniques, sont souvent des playlists déguisées. Pas de coup de boules de Di Meco, pas d'accusations farfelues de racisme de Neymar, pas d'animosité, mais une simple démonstration d'amour du rap et de la musique urbaine d'aujourd'hui. Quelque part, Classico Organisé est en même temps aussi beau que le dribble de JuL sur Abidal, et aussi cheum que la frappe qui a suivi. 

Le goût des autres :
6 Ruben