Le Cirque de Consolation
Leonie Pernet
Des bons disques en 2021, ce n'est vraiment pas ce qui a manqué. Il y en a même tellement qu'on se plait à croire que l'esprit humain a besoin de voir sa liberté d'expression réduite pour que sa créativité explose. Paradoxalement pourtant, on trouve peu de disques qui ont la gueule de cette année bizarre : il y a bien le très bel album de Para One, dont on devra vous reparler. Parfaite alchimie entre acoustique et électronique, Machines Of Loving Grace est un disque qui évoque autant Steve Reich que Ryuichi Sakamoto, tout en ressemblant profondément à son auteur. L'autre disque qui ressemble le plus à ces 365 derniers jours, c'est Le Cirque de Consolation de Léonie Pernet. Un disque qui, à l'heure où l'on boucle nos tops de fin d'année, vient bousculer l'ordre établi et faire trembler nos certitudes.
On l'avait pourtant bien senti venir lorsque "Hard Billy" est apparu dans nos timelines : avec son kick massif et ce chant grave qui invite à jeter ses idéaux dans un brasero, ce drôle de titre qui ne nous a pas laissé indifférent. En fait, on n'a eu d'y revenir, sans doute un peu perturbés par ce grain sombre et cette voix ensorcelante. On pensait alors qu'il risquait de se passer quelque chose de fort sur ce nouveau disque de la Française. Et ça n'a pas loupé.
Car Le Cirque De Consolation est un grand disque en forme de train fantôme, étalant sa maîtrise sur onze titres qui sont autant de fausses pistes parfaitement complémentaires. Sur "Les chants de Maldoror" notamment, la belle envoie un gros synthé italo disco et nous invite à une danse macabre sur une piste de danse vide. Pourtant, malgré son amour omniprésent des machines, Léonie Pernet n'a pas l'intention d'être réduite à une simple machine à danser. Ce tube qui s'ignore est un cheval de Troie, un trompe l'œil merveilleux qui ne laisse aucunement présager de la variété explorée par le reste d'un disque qui s'attache à aller chercher ce que l'artiste de plus profond et spirituel dans les tripes.
Et au jeu des comparaisons, on se fait plaisir : on peut penser à Bonnie Banane ou Flavien Berger pour cette manière de vider les mots de leur sens, ou cette passion commune pour les respirations électroniques. On peut aussi penser à l'ultime disque de Christophe, l'immense Les vestiges du chaos, pour la qualité de sa production et de ses arrangements - tout particulièrement sur le dernier tiers, rempli à ras bord de violons ivres. Et puis merde : cet écrin gothique nous renvoie à ce que Mylène Farmer a pu faire de plus beau et de vaporeux. Mais ce qu'on ne retient surtout, c'est la manière dont Léonie Pernet brille par ses propres moyens : par son grain de voix qui transcende l'âme, par son écriture pleine de sensualité, par sa façon involontaire de mettre en musique une année orwellienne.
Il y a bien ses quelques titres en anglais qui n'apportent pas grand chose, et qui nous rappellent combien Le Cirque de Consolation n'est jamais aussi beau que lorsqu'il chante dans la langue de Molière. Mais c'est pinailler sur les détails d'un projet qui joue le quasi-sans faute alors même que six mois plus tôt, on ne savait pas mettre un visage sur le nom de Léonie Pernet. Par ici , on est quelques uns à le penser : on tient avec ce petit chef d'œuvre l'un des plus nobles braquages de 2021.