Last Place
Grandaddy
D’un point de vue strictement musical, on peut dire que l’actuel millénaire avait plutôt bien commencé – sur le plan géopolitique, on était encore loin d’imaginer le bordel qui allait suivre par contre. En effet, cette année-là, critique et public ont surtout plébiscité le Kid A de Radiohead et le Stankonia d’Outkast. Deux disques qui, à leur manière, ont marqué leur époque, préfiguré un avant et un après. Deux disques pondus par des entités à leur acmé, aussi. Parmi les autres groupes qui chatouillaient alors les sommets, il y avait Grandaddy, dont le Sophtware Slump a éclaboussé l’année 2001 de son anachronique mélancolie.
Anachronique, voilà bien un mot important quand il s’agit de parler des Américains, qui n’ont jamais vraiment semblé à leur place dans une époque qui semble aller beaucoup trop vite pour eux, dépassés qu’ils semblent par un monde dont les incessants tressaillements viennent briser cette quiétude à laquelle ils ont toujours aspiré. Et si Grandaddy n’était pas en phase avec son temps en 2001, on ne voit pas pourquoi cela aurait changé 16 ans plus tard, surtout que dans l’intervalle il n’a jamais changé son fusil d’épaule et que sa tête pensante, Jason Lytle, n’a pas ménagé ses efforts pour perpétuer l’héritage sur des albums en solo pas dégueulasses.
Aussi, dès que les premières notes de l’efficace « Way We Won’t » résonnent, on se prend une bonne dizaine d’années dans la tronche, et sans grande surprise, on reprend les choses là où le groupe les avait laissées à son split en 2006. Les claviers vintage sont là, les ambiances dépressives affleurent de partout, et la production lo-fi fait son œuvre. Mais ce n’est pas tout : les ambition formelles et les visées néo-psyché sont aussi de la partie. Bref, tous les ingrédients qui ont fait de Grandaddy un groupe totalement à part dans le paysage indie, et qu’on a toujours eu la mauvaise idée de comparer à Radiohead à un époque où les Anglais faisaient encore une musique que l’on pouvais aisément ranger dans la case rock.
Mais on l’a encore vu avec le dernier album de Ty Segall : maîtriser une recette ne donne pas forcément un bon disque. Mais à ce petit jeu, Grandaddy s’en sort avec les honneurs sur un Last Place qui, contrairement à un album des adieux (tristounet Just Like The Fambly Cat) en forme de coquille vide, relance la machine sans autre ambition que de prendre du plaisir et d’en donner. Dans ce contexte, on se retrouve avec un disque qui, malgré quelques grands moments de spleen mélodique, peine parfois à tenir la dragée haute au diptyque Under The Wester Freeway / The Sophtware Slump, dans lesquels on a immédiatement envie de se replonger à l’écoute des meilleurs titres de Last Place, « I Don’t Wanna Live Here Anywmore », « That’s What You Get For Getting Out Of Bed » et « A Lost Machine » en tête. Bref, tout ça ne va pas faire avancer des masses le schmilblick, mais dans le cas d’un groupe comme Grandaddy, c’est une excellente nouvelle.