L'Amour
Disiz
En route pour le boulot, alors que le dernier morceau de Green Montana « Parfum » tournait dans les enceintes, j’ai reçu un DM plutôt intrigant : « au-delà de la cover, on est d’accord que le Disiz s’inspire assez ouvertement du Channel Orange de Frank Ocean, t’en penses quoi ? » La veille, je venais en effet de me prendre dans la tronche le clip de « RENCONTRE », qui dévoilait l’association folle de Damso et Disiz sur une prod travaillée par les pattes de LUCASV et de Prinzly. Dans la voiture, en grand adorateur de notre cher Frank O. à présent titillé, j’ai donc aussitôt remis le titre, avant de me faire à l’évidence, et ce dès l’entrée de Disiz : Si je te raconte ma vie, tu vas dire : « dinguerie, mais quelle dinguerie, mais quel enfer. »
Il n’y avait aucun doute. Ce flow saccadé, dont le souffle des vocalises étouffées se brise en va-et-vient dans un jeu de relances typiques au géniteur de Blonde, ne pouvait que trouver son influence auprès de ce dernier ; restaient la transition de prod et les packs de percussions pour finir de me convaincre. Sur tout le disque, on trouvera d’ailleurs des inspirations fortes d’artistes sans frontière : « BEAUGARÇONNE » et « ALL IN » sonnent comme un groove de Rejjie Snow, voire d’un Ichon ; « SUBLIME » tire la grandiloquence de The Weeknd, quand « KLIMT » porte le fantôme lofi d’un Barry White ou « DISPO ? » les tentatives Jazz de notre Frank en question, très présent. Et bien d’autres.
Finalement, peu importe. Le principal consiste à percevoir que L’Amour se présente comme l’album de la déconstruction pour l’artiste. Au travers de sa carrière atypique, Disiz n’a cessé de se chercher, sans jamais véritablement parvenir à thésauriser le succès de ses classiques, de son rap d’ancien, au fil de ses différentes mutations et expérimentations qui ont fini par perdre, par exemple, l’auteur de ces lignes. Avec ce disque, Disiz place d’abord sa musique au centre de ses diverses volontés passées, le fameux juste milieu dont parlait Alexandre le Grand : ni trop dépouillé, ni touffu ; ni pop ni underground ; dans la maîtrise et le risque.
Musicalement, les productions optent souvent pour la tendance des sonorités revival post-disco et du funk glamour des années 80, avec un minimalisme assez subtil pour conserver le sillon dans une proposition artistique plus raffinée que la lobotomie hertzienne. Les flows de Disiz ne rougissent plus d’assumer majoritairement leurs vibes, avec des fins de phases sèches qui trahissent fièrement le passé de kickeur de leur locuteur. Surtout, fort probablement, la résignation de la narration touche bien davantage que le reste : une volonté de se dire soi qui emporte l’auditeur dans son sillage, en témoigne la confession liminaire de « SUBLIME », comme une prise d’otage, comme une prise à la gorge.
Au fil de ces textes, Disiz parle enfin : il ne s’agit plus de livrer un disque, mais un aveu. Si la thématique choisie est celle de l’amour – la plus usée du monde – la sincérité des textes redynamise tous les clichés possibles : une nouvelle déconstruction, cette fois thématique, qui n’étonne donc pas lorsqu’elle invite, après Damso, une Yseult dont les récents textes ont parlé de love comme personne. En trois actes, l’histoire avance au travers des douleurs vers la lumière pour terminer sur « L’AMOUR », le plus beau, en réponse à l’intro, avec un backing vocal de choix, puisque la voix supplémentaire n’est autre que celle de Naforéari, la fille de Disiz.
On a pu voir ces derniers temps, dans le milieu du hip-hop, sortir quelques disques de la maturité – quand les artistes osent – du QALF infinity de Damso au Pour de vrai de Ichon, parmi les plus exemplaires. Disiz livre ici un témoignage fort, qu’aucune critique ne saurait questionner, car ce type de productions se suffisent à elles-mêmes, leurs existences absolues en font des objets dignes d’attention. Entre enfin dans ce jeu, la volonté d’accepter ses influences et d’avoir l’audace, ou simplement le cœur, de prétendre à se hisser à leur niveau, ou du moins au niveau de ce qu’elles ont suscité dans l’âme de l’artiste. Il s’agit d’amour, simplement.
Et pour finir, si jamais ce Disiz-là se perd un jour à lire ces lignes, j’aimerais lui dire toute l’émotion qui s’empare de moi lorsque j’entends ses quelques mesures sur « RENCONTRE ». Il y a bien longtemps que j’ai décroché les posters du RAP Mag qui décoraient ma chambre, notamment le visuel de « j’pète les plombs » et celui de Poisson rouge. Le temps a passé, beaucoup. Il a semé ses difficultés, et effacé des noms et des visages. Certains sont évidemment toujours restés quelque part en moi. Mais moi j’suis heureux […] J's'rai plus jamais en hess, nan, j'suis Disiz la Peste. Heureux de te voir apaisé vieux frère.