Lala Belu
Hailu Mergia
Quand on pense à Awesome Tapes From Africa, on pense à l’incroyable travail de digging du label qui, depuis sa création en 2006, nous abreuve en références aussi obscures qu’improbables, et lance (ou relance) des carrières - demandez à Ata Kak ce qu’il en pense. Puis l’année dernière, Brian Shimkovitz a eu des envies d’autre chose - ou plutôt de réelle nouveauté. C’est dans ce contexte qu’est sorti la première référence ‘originale’ d’ATFA, l’album de la chanteuse peule Awa Poulo. Un beau disque, pas forcément mémorable, mais qui a au moins eu le mérite de conforter l’Américain dans sa volonté de faire du neuf, quitte à le faire avec du vieux comme dans le cas qui nous occupe. Mais pas n’importe quel vieux, puisqu’il nous sort de son chapeau Hailu Mergia, génial claviériste et accordéoniste qui a fusionné funk, jazz et musique traditionnelle dans l’Ethiopie des 70’s avant de fuir la répression du régime du Derg pour s’installer aux Etats-Unis. Sa carrière outre-Atlantique ne se décidant pas à décoller, le bonhomme dut se résoudre à devenir chauffeur de taxi à Washington. Plutôt mal payé à l’époque, Haili Mergia savoure aujourd’hui sa revanche: après avoir vu Awesome Tapes From Africa rééditer ses meilleurs albums, le musicien d’Addis Abeba sort son premier album en 20 ans.
Plutôt surpris par ce coup de pouce inattendu du destin et bien aidé par le regain d’intérêt pour la scène ethio-jazz ces dernières années, Haili Mergia prend le risque de se confronter à la critique en publiant un nouvel album, alors qu’il aurait été tellement plus simple de continuer à piocher dans son back catalogue et d’entretenir son propre mythe en tournant avec des gens comme Beirut, comme ce fut le cas en 2015. Mais c’est précisément grâce à cette totale humilité qui habite la démarche que Lala Belu se paie le luxe d’être une franche réussite. Alternant entre compostions originales et ré-interprétations de thèmes traditionnels de la musique éthiopienne, le disque mélange tradition et modernité, mais laisse surtout parler le talent d’un Hailu Mergia qui peut compter sur une section rythmique intraitable pour briller d’un bout à l’autre du disque. Ainsi, si la peur de se retrouver avec un disque sentant un peu trop l’hospice était réelle, Hailu Mergia démontre que ces 30 dernières années, il a autant pioché dans le tradition éthiopienne que dans le jazz et le funk américain pour façonner l’artiste décomplexé qui impose sa patte sur Lala Belu et fait montre d’une dextérité que l’on n’attendrait pas spécialement venant d’un artiste qui vient quand même de fêter ses 71 ans.
Disque sincère et bourré d’espoir, véritable ode à la vie et au groove heureux, Lala Belu réussit le petit exploit de tenir la dragée haute aux meilleures réalisations de son géniteur - et ceux qui ont déjà écouté un disque aussi impeccable que Tch Belew savent que ce n’était pas gagné d’avance. Et puis quand on sait que ce disque a été écrit et composé entre ses courses avec un pauvre Synthé Yamaha à piles soigneusement conservé dans le coffre de son véhicule, c’est le genre de petit exploit qui nous donnerait presque envie d’aimer d’amour les chauffeurs de taxi.