La zone en personne
JuL
Cinq ans. Il a fallu cinq longues années pour savoir quoi penser de JuL, de sa passion pour les grosses cylindrées et de son orthographe approximative. Sang neuf bienvenu dans le rap pour les uns, dommage collatéral pour les autres, le bougre divise. Mais il faut tout de même reconnaître à Julien Marie une très belle carrière, entamée sur un faux départ – le tristement célèbre "te déshabille pas, je vais te violer". Quoi qu'on pense de sa production, il est aujourd’hui le rappeur le plus authentique, le plus bienveillant et le plus prolifique de la cité phocéenne. Osons même le dire : JuL est l’un des dix meilleurs rappeurs français en activité, et un "Lacrizeotiek" vaudra toujours mieux qu’un long discours.
Pour rappel, JuL a débarqué au début des années 2010. À un moment où la trap d’Atlanta s’imposait comme la norme, et que l’on pouvait trouver les cymbales syncopées de Lex Luger un peu partout, JuL a répondu au besoin d’exotisme d'un public en mal de curiosités. Quand PNL a opposé aux BPM frénétiques une apesanteur dans la pure tradition du cloud rap, JuL a voulu raviver la flamme du rap marseillais historique et se faire le chroniqueur de son époque. Pas sur des prods de Pone ou d’Imhotep, plutôt sur des prods de son cru, pleines à craquer de sons d’usine, comme à la bonne vieille époque des Neptunes. Nous sommes en 2019 et l’OVNI continue de cuisiner en flux tendu dans son vaisseau.
Sur La zone en personne, pas de construction façon La Fierté des Nôtres, ni d’interludes ou de respirations. C’est un projet de JuL comme il en sort depuis des années, entre disques gratuits et albums en bonne et due forme. À ceci près qu’il poursuit sur une formidable lancée entamée avec Je me vois pas briller en 2017. Ici, on se surprend peu de le voir mettre dans un shaker reggaeton, rap et variété italienne pour créer ce style d’extraterrestre qui commence à faire pas mal d'émules dans la cité phocéenne (poke Naps), mais qui laisse peu de place au doute quant à la parenté : JuL est et en demeure l’unique godfather, à l’instar de ce que Wiley a été pour le grime.
Après il convient de nuancer : 40 titres, ça reste bien trop long pour le commun des mortels. On serait d'ailleurs tentés de penser que le marseillais joue le jeu des disques à rallonge pour enchaîner les disques de platines, qu'il écrit sa légende avec des statistiques de stream. Il suffit de creuser un peu pour voir qu’il n’en est rien : La zone en personne a tout d’une masterclass, avec ce qu’il faut de tubes, de freestyles sauvages et de plaisirs coupables dans la pure tradition du J. À aucun moment il ne semble perdre cette attitude enfantine qui le caractérise. Si l’effort de tri est inévitable, une constante, force est d’admettre que le ratio de belles choses et d’hymnes de stade est presque indécent, surtout pour quelqu’un qui charbonne seul, et de façon strictement indépendante.
À la lumière de disques de mieux en mieux ficelés et d’une matière première bien maîtrisée, il nous tarde de mesurer pleinement l’impact de ce phénomène qui fait jurisprudence dans le microcosme rap. Mais tout comme on parlait dans les années 80’s de "Dahomania", la "Julmania" continue de faire des petits, dans un sillage bien à elle, et il faut bien admettre qu’on l’envie : assis sur le toit du monde avec un Caprisun dans la main, l'OVNI apparaît de plus en plus intouchable, tout en demeurant profondément fidèle à ses valeurs, sa musique et sa "team". Une musique qui se pose comme le prolongement le plus sincère des états d'âme de son géniteur, une musique désarmante de sincérité et complètement vide de concessions. En 2019 le doute n’est plus permis : personne n’incarne le rap marseillais comme JuL. Et franchement, s'il y en a bien un qu'on ne voyait pas occuper ce poste, c'est lui.