La vie est bien faite
Sameer Ahmad
À ceux qui étaient convaincus qu’on allait arrêter les superlatifs, on le redit : non, on ne se fatigue pas de dire du bien de Sameer Ahmad. On s’efforce seulement de le faire dans un délai plus large, pour rappeler qu’il compte pour nous, et donc que tout papier qu’on lui consacre ne doit pas se vautrer dans le fanatisme béat. Nous sommes donc en 2024 et le Montpelliérain d’origine irakienne continue de sortir des disques, quatre ans après nous avoir confessé qu’il était sur une fin de carrière. Mieux encore : à un âge où l’on arrête les frais, le bougre se sent enfin le courage d’assumer son amour du rap et d’en faire son travail à plein temps. Sameer Ahmad revient deux ans après l’immense Effendi pour se challenger et tenter un nouveau tour de force.
Plus que jamais, Sameer Ahmad continue de faire confiance à sa vision, à son équipe (c’est encore aux producteurs Skeez’Up et Nab qu’on doit la mise en son), et à ses marottes cinématographiques. Ce qui n’empêche pas ce cinquième opus d’amener sur la table une saveur de "premier vrai album" : à bien des égards, La vie est bien faite est son disque le plus précis, le mieux produit. Il n’en faudrait pas davantage pour qu’on sorte le terme fourre-tout de "synthèse" pour parler d'un disque sans révolution mais qui fait la démonstration ultime de sa large palette. Car il y a un peu de ça dans ce cinquième disque : le sentiment que le rappeur de Montpellier va exploser à la gueule de tout le monde - y compris celle de ceux qui l’ont vu venir de très loin.
Mais au-delà de tout ça, il y a le côté bigger than rap de ce disque qui porte bien son nom sans pour autant cacher les angoisses existentielles de son géniteur. Ici, Sameer Ahmad rayonne d’optimisme, au point que cela sonne subversif : sur "Daddy Cool", il entonne que "l’avenir n’est plus ce qu’il était" tout en rappelant qu’il y aura d’autres hivers et d’autres pluies d’été. Dès l’introduction, il se souhaite une vie longue et de la neige à son enterrement. En cinéphile averti, ses images percutent, et son verbe porte une sérénité rare et précieuse en ces temps troubles. Attention toutefois : Ahmad n’est pas Ali, et il prend plaisir à partir en guerre, comme en témoigne cette folle passe d’armes avec Nakk Mendoza, mais surtout ce "Néron" incendiaire et insolent qui clôt le disque.
La discographie de Sameer Ahmad parle aujourd'hui pour lui, et on lui souhaite de se constituer une base solide d’auditeurs mettant la main au portefeuille. On aimerait aussi que son aura et sa vision planent sur la musique d’autres artisans de la rime. Parce qu’au risque de le répéter, non, La vie est bien faite n’est pas encore le disque qui nous fait dire qu’il est en bout de course. C’est même tout le contraire : tel un Benjamin Button du rap jeu, notre homme semble rajeunir à mesure que défilent les années, tout en gardant pour lui une certaine sagesse qui le rend plus attachant que jamais.