La Musique
Dominique A
A part Dominique A, qui peut se permettre aujourd’hui d’intituler son nouvel album La Musique sans sombrer dans le ridicule ou le second degré facile et de mauvais goût ? Personne, comme vient le confirmer ce huitième album studio en près de deux décennies de bons et loyaux services. Sur une scène musicale française plus habituée aux imitateurs et aux poseurs laborieux qu’aux défricheurs de grands espaces, le Nantais reste une anomalie, un personnage atypique, aussi fascinant qu’attachant. Mais si le chanteur fait presque toujours l’unanimité auprès de la critique et d’un public fidèle (bien qu’incroyablement restreint par rapport au talent du bonhomme), on ne peut pas en dire autant de sa carrière depuis une paire d’albums.
Il faut dire qu’avec L’Horizon en 2006 et surtout Tout Sera Comme Avant en 2004, le sieur Ané en a dérouté plus d’un, cherchant à apprivoiser de nouveaux espaces musicaux, repoussant les limites de son art dans des disques de groupe, tantôt pop, tantôt baroques, souvent trop arrangés pour les amateurs d’épure. Pourtant, à aucun moment le talent de compositeur du Nantais n’a fait défaut, ces disques trop vite décriés recelant quelques-unes de ses plus belles compositions ("Revenir Au Monde" ou "Rue des Marais" pour n’en citer que deux). Mais cette démarche, à la fois logique et essentielle dans le cheminement artistique du chanteur, n’a visiblement pas plu à tout le monde. Alors quand les fans ont compris, à la lecture du journal de bord tenu par Dominique A pendant l’enregistrement de son nouvel album, que La Musique serait un disque en solitaire, comme La Fossette quelques dix-huit années auparavant, l’attente est vite devenue insupportable.
Remettons néanmoins les choses en contexte : si la démarche entre ce disque et le premier effort quasiment mythique du nantais est similaire (un disque enregistré seul sur 32 pistes), la comparaison s’arrête là. D’abord parce que la technologie actuelle aidant, le disque ne sonne que rarement bricolé ou moins produit que L’Horizon par exemple. Ensuite parce qu’avec les années et le succès, il serait totalement vain d’attendre de La Musique la même candeur, la même mise à nu, le même sentiment d’être sur la brèche que La Fossette. Cela posé, il faut néanmoins avouer que Dominique A vient de frapper un grand coup avec ces 12 nouvelles chansons – ou plutôt devrait-on dire avec ces 24 nouvelles chansons tant il est difficile de dissocier La Musique de La Matière, deuxième disque disponible uniquement avec l’édition limitée de l’album et issu des mêmes sessions d’enregistrement.
En revenant à plus de simplicité, le chanteur semble avoir retrouvé l’essentiel, ce sens inné de la mélodie et cette façon incomparable de manier les mots – ces mots qu’il est un des rares français à faire résonner avec autant d’intensité. La quarantaine fraîchement passée, le nantais s’interroge sur la place de chacun ("Le Sens", "Seul Le Chien"), le corps ("Hasta Que El Cuerpo Aguante"), le rapport à l’autre ("Qui Es-Tu ?", "Il Ne Dansera Qu’Avec Elle"), l’avenir ("La Fin D’Un Monde"). Et puis il y a cette relation avec son art, la musique, qu’il dépeint avec réalisme dans la chanson-titre : « Et dire qu’on disait la musique pour sybarites, pour glandeurs nés ». A l’image d’Alain Bashung pour qui il avait composé "Immortels" (écarté de manière assez incompréhensible du casting final de Bleu Pétrole et qui prend un sens troublant avec la récente disparition du géant), Dominique A possède un sens rare de l’interprétation et un timbre de voix si singulier que l’on imagine mal quelqu’un d’autre chanter ces morceaux. Comme il le dit si bien sur "Le Bruit Blanc De L’Eté", sans doute le plus beau morceau de cet ensemble, « il y a tant de bruit ici qu’on n’entend plus que lui ». Si seulement…