La Fin de l'Espèce

Klub Des Loosers

Les Disques du Manoir – 2012
par Soul Brotha, le 13 mars 2012
9

De quoi est faite la vie d'un homme fatigué de vivre mais incapable de se suicider? De souffrance, évidemment, mais probablement aussi de résignation. A la fin de son premier album Vive La Vie, on avait laissé Fuzati sous un arbre la corde au cou, prêt à en finir avec un quotidien fait de misère sexuelle et de désespérance adolescente. On le retrouve ici quelques secondes plus tard (sept ans en temps réel) le cul par terre et l'air stupide, contrarié dans son funeste projet par une "Vieille Branche". C'est ainsi que La Fin de l'Espèce débute par une proclamation cinglante: "Je suis vivant!".

Ainsi, le Versaillais se résigne. A vivre, parce que oui, techniquement, respirer c'est vivre mais aussi à trouver sa place dans un monde qu'il exècre pour sa fâcheuse propension à créer de la souffrance. Dans cet esprit, il a décidé de mettre une distance entre ce monde et lui. La Fin de l'Espèce ne parle finalement qu'assez peu des destinées de l'homme masqué: on y apprend qu'il baise beaucoup sans grand enthousiasme et c'est à peu près tout. Clairement, il préfère observer le monde plutôt qu'en faire partie. Alors, forcément, le cynisme est partout. Fuzati parle des amours se terminant dans la douleur, de l'inconvénient d'être né et, au fond, de la simple souffrance d'être. Après tout, "l'homme n'est décidément pas fait pour le bonheur" comme le dirait Michel Houellebecq (une référence littéraire évidente au sein de ce disque). Aussi, le discours est plus que jamais teinté d'une violente rancœur envers la femme: objet de fascination devenu, au fil des déceptions, objet à baise méprisable.

Musicalement, La Fin de l'Espèce marque aussi une nouvelle étape dans la carrière de Fuzati. On le savait digger acharné, en quête permanente de la boucle parfaite à sampler au fin fond d'improbables vieux vinyles de jazz ou de bossa nova (à ce propos, ruez vous sur les Spring Tales et les Broadcast Sessions, de magnifiques mixes à thème dont il est l'auteur) mais là, le niveau atteint est proprement hallucinant. A certains moments, les productions désenchantées de ce disque sont proprement sublimes. Le piano triste à crever de "La Fin de l'Espèce" ou le beat lancinant de "Mauvais Rêve", par exemple, vont même au-delà du rap. On en vient à espérer une sortie des instrus de l'album qui peuvent très clairement se suffire à elles-mêmes.

Evidemment, les détracteurs du Klub Des Loosers pourront toujours dire que le flow de Fuzati est pénible et ils auront raison, malgré de vrais progrès à ce niveau. Là dessus, il n'y a pas de vérité, l'auditeur s'y habitue et fait avec ou non. En même temps, vu le propos, le contexte et, de manière générale, la personnalité de Fuzati, ne serait-ce pas étrange d'entendre un flow rodé, fluide et expérimenté sur "La Fin de l'Espèce"? Au fond, Fuz' n'est pas vraiment un rappeur (malgré un background et une culture hip hop qui ne se démentent pas), c'est plus un homme de lettres qui pose ses textes en musique et, au fond, c'est peut être pas plus mal.

La Fin de l'Espèce est clairement l'album que l'on attendait venant de la paire Fuzati/Detect. Sept ans après Vive La Vie, le Versaillais masqué a su nourrir son personnage qui entre un peu plus dans la légende. Dans un album fascinant et hypnotique, marqué par des beats toujours plus sublimes et travaillés, le Klub des Loosers érige une certaine forme de nihilisme et de distance comme mode d'emploi afin de rester vivant.

Le goût des autres :
9 Jeff 9 Justin 8 Denis 9 Bastien 8 Maxime