Knebworth 1996
Oasis
Knebworth. L’immense domaine de cette bourgade du Hertfordshire est depuis les années 70 le lieu de consécration de l’aristocratie rock. Tout groupe devenu trop énorme pour jouer dans des salles de spectacle donne un grand concert à Knebworth et souvent pour des résultats contrastés. Les premiers à inaugurer le site furent Pink Floyd devenus intouchables après The Dark Side Of the Moon. Puis ce seront les Rolling Stones, en 1976. Ce furent ensuite les derniers concerts de Led Zeppelin dans leur pays en 1979, l'ultime concert de Queen avec le line-up original ou encore les trois soirs en forme de consécration pour un Robbie Williams alors au sommet de sa gloire. Par la suite, il y aura des festivals, mais le site ne donne plus qu’exceptionnellement des concerts. Peu de groupes sont en effet assez énormes pour pouvoir se le permettre.
Les 10 et 11 août 1996, Oasis le peut, le temps de deux soirs de concerts en compagnie de The Prodigy (qui sortira l'année suivante le mythique The Fat of the Land), les Manic Street Preachers (en orbite grâce à l'exceptionnel Everything Must Go sorti quelques mois plus tôt) ou encore The Charlatans. Un week-end au vert qui a rassemblé plus de 250.000 personnes. 5% de la population britannique tenta d'obtenir des billets. Tout cela, le documentaire de Jake Scott (fils de Ridley), qui accompagne le double DVD rassemblant justement les prestations des deux soirées, le raconte bien, à grand renforts d’archives inédites, procurées par les fans, et, disons-le, de quelques banalités tentant maladroitement de rappeler le contexte, la puissance de la culture anglaise de l’époque, le cool. Fastidieux, mais peut-être nécessaire pour comprendre ce qui se déroule ensuite.
Ce qui se déroule suite, ce sont donc deux concerts. Deux captations ici particulièrement soignées, enfin disponibles en excellente qualité. La setlist comporte, hormis l’absence relativement inexplicable de “Rock’n’roll Star”, tous les classiques d’un groupe qui à l’époque n’a pourtant sorti que deux disques (et dévoile pour l’occasion deux titres à paraître sur le troisième). Quitte à choisir, privilégiez le deuxième soir, plus sauvage, plus foutraque, plus vivant.
Ce qui se déroule ensuite, c’est aussi la fin d’un monde. Celui du groupe, tout d’abord. Personne ne semble le savoir, ou du moins, vouloir le reconnaître (ce que certains membres feront bien volontiers par la suite), mais après Knebworth, plus jamais Oasis ne sera aussi bon, aussi grand, aussi séduisant, pertinent, impactant. Pour la dernière fois, le groupe des frères Gallagher aura représenté le peuple, celui auquel il ressemble tant. Après, il y aura de nouveau des tournées, de nouveau des disques, et particulièrement un troisième, Be Here Now, carton mais déception, mal aimé pour de bonnes et de mauvaises raisons, mais surtout, qui représentera une rupture majeure.
Oasis, en 1997, perd pied. Le disque se classe en première place des charts dans pas moins de quinze pays, mais déçoit quantité de fans de la première heure, tant les chansons (trop longues, prétentieuses, déconnectées de leur réalité) que la promotion hors-sol. Alan McGee lui-même, dans son autobiographie, se souvient : “Be Here Now a détruit beaucoup de l’affection que les gens avaient pour le groupe, et pour Liam et Noel. C’était des branleurs, mais avec les pieds sur terre. La campagne de sortie de l’album était mal gérée, et de mauvais goût de la part de tout le monde. Ils se sont ringardisés du jour au lendemain, en donnant l’impression de pouvoir tout se permettre, et d’être au-dessus de tout le monde”.
Knebworth symbolise donc, en un sens, la fin d’une carrière. Mais aussi la fin d’une époque. C’est sans aucun doute l’un des choix les plus pertinents et touchants de Jake Scott dans son film : raconter un monde qui change, à grande et petite échelle. Après Knebworth, arriveront dans nos quotidiens Internet et téléphone, œuvrant à nous distancier, petit à petit, de l’instant présent. Mais surtout, après Knebworth, fan hardcore deviendra père, jeune femme perdra son frère, et l’intime n’aura plus le même visage. En laissant la parole à des amoureux et amoureuses du groupe, présents évidemment pour le grand évènement, Jake Scott dresse un portrait d’une jeunesse encore naïve qui sera, bientôt, rattrapée par la réalité, par la vie d’adulte. Leurs visages, qui apparaissent dans le générique de fin, bouleversent plus que de raison. Ils sont alors comme nous, mais quelque part, aujourd’hui, ils sont devenus grands, et ce film, ainsi que le live qui l’accompagne, sont le témoignage de cet ultime moment d’insouciance.