Kiss Each Other Clean

Iron & Wine

Warner Bros – 2011
par Pauline, le 15 février 2011
5

Cela fait déjà une dizaine d'années qu'Iron & Wine occupe une place de choix dans le paysage de la folk indé américaine. Débutant avec le très beau The Creek Drank the Cradle, album où régnaient mélancolie, guitares acoustiques et voix veloutée, le groupe a évolué doucement mais sûrement  vers ce qui est souvent considéré comme son œuvre majeure, The Shepherd's Dog. Bien sûr, ce qui séduit profondément chez Iron & Wine, c'est cette capacité à évoluer sans forcément s'attarder sur les désirs du public. On aurait certes pu continuer à écouter les jolies mélodies de The Creek Drank the Cradle sans en être trop dérangés, et on aurait alors calé les albums d'Iron & Wine dans la pile considérable de disques de ces groupes qui n'évoluent pas dans le temps mais qui sont toujours agréables à écouter à l'occasion. Cela dit, il y a évolution et évolution. Il y a d'une part l'évolution positive, celle qui nous apparaît comme naturelle et qui débouche d'une avancée personnelle et artistique. Et d'autre part, il y a celle qui est un peu forcée, qui semble motivée par une envie de montrer trop de choses et d'épater la galerie au passage. Samuel Beam et ses petits camarades d'Iron & Wine sont un peu calés entre ces deux évolutions.

Ainsi, dès la première écoute de cet album, au demeurant plutôt pénible, on est gêné par l'aspect dysfonctionnel de la chose. "Walking Far From Home" fait un peu l'effet du réveil à 6h du matin quand on a les yeux collés, et dès lors une série de questions se posent: quel est ce son / cette voix / ces effets / ces chœurs sur-présents / oh mon Dieu qui êtes-vous et qu'avez-vous fait de Sam Beam? Et ces questions sont de plus en plus nombreuses au fur et à mesure de ladite écoute. Ce qui est plutôt regrettable dans cet album, c'est qu'il est très rempli. On y décèle aisément un trop-plein d'émotions (parfois très mal gérées, parfois très belles et touchantes), de mots, de chants et d'effets, ce qui ne laisse que très peu d'espace à l'auditeur, qui évolue dans cet album comme dans une jungle étouffante. On est un peu privés de notre espace d'interprétation, du petit vide nécessaire à une œuvre pour être embrassée pleinement. Ce qui faisait la force des précédents opus d'Iron & Wine c'était la beauté fragile des mélodies et des textes, qui laissait une grande place à l'écoute et à l'émotion. D'ailleurs, les prestations live de l'album qui ont pu être diffusées sur internet laissaient présager de ce foisonnement un peu dérangeant. L'abondance n'est pas forcément positive, elle non plus. Souvent, Sam Beam s'éloigne de sa folk épurée pour aller flirter du côté de sons funky ("Me and Lazarus") ou même jazzy. Mais il ne le fait pas sans user de beaucoup (trop?) d'apparats, et se brûle parfois les ailes à vouloir courir après l'expansion de son univers. Les productions sont tour à tour très belles et très maladroites, et même sur les ballades (la spécialité d'Iron & Wine en temps normal) il y a beaucoup d'égarement - par exemple sur "Tree By The River".

Pensant que les écoutes atténueront ce sentiment de claustrophobie, on se prend à écouter plusieurs fois par jour cet album, cherchant une explication à ce que Sam Beam a voulu faire avec Kiss Each Other Clean. Son album laisse le sentiment mitigé d'avoir écouté une flopée de belles chansons bien écrites mais noyées dans une ambition un peu démesurée. Peut-être Sam Beam prépare-t-il le terrain pour un nouvel opus plus pur, un peu moins agaçant et déroutant? Quelque chose d'un peu plus ancien et original à la fois. Avec moins d'effets, moins d'artifices, moins d'influences bigarrées, mais plus de talent et de subtilité. L'avenir nous le dira.

Le goût des autres :
2 Maxime