Kings and Queens
Jamie T
On le sait, les microphénomènes et les buzz qui n’en sont pas sont une spécialité bien ancrée dans la tradition britannique. Heureusement pour nos oreilles de continentaux, nombre de groupes loin d’en valoir la peine ne franchissent pas la Manche - et quand ils le font, c’est pour se produire dans de minuscules salles parisiennes ou bruxelloises alors qu’ils vivent la vie de château dans la perfide Albion. Aussi, on peut se réjouir du fait que la gloriole nationale de groupes comme Cast, Gene, Echobelly ou Menswear ne soit jamais venue polluer nos ondes ou nos pages de magazine. Mais à l’inverse, il est également des groupes dont le succès est amplement mérité et avéré à domicile, mais loin d’être une réalité ailleurs dans le monde. Dans cette catégorie de parias, on retrouve cette petite frappe de Jamie T, qui fait actuellement un carton en Angleterre, alignant éloges et chroniques dithyrambiques pendant qu'ici, on s'astique le manche sur les dix mêmes groupes depuis des mois.
Pourtant, quand on voit le succès que continue d’avoir chez nous un certain Mike Skinner, aka The Streets, malgré des albums à la qualité plutôt moyenne, on se demande bien pourquoi il n’en est pas de même pour Jamie Alexander Treays, chien fou de 23 ans qui, de son Wimbledon natal, observe avec beaucoup d’acuité l'Angleterre middle class qui l'entoure. Avec sa gueule de traviole, si typique de ces lads qui trinquent toute la semaine pour pouvoir se mettre minable le vendredi au pub local, Jamie T nous avait livré il y a maintenant deux ans un Panic Prevention tout bonnement explosif, fait de titres métissés où se croisaient punk, reggae, hip hop et pop dans une ambiance survoltée. Deux ans plus tard, Jamie T a certes un peu gagné en maturité, mais n’a rien perdu de cette énergie juvénile qui en fait l’un des apôtres les plus pertinents de la vie dans ce Londres moderne aux airs de chaudron bouillonnant. Plus acéré que jamais, le flow de Jamie T, rehaussé par cet accent cockney inimitable, fait des miracles sur bon nombre de titres, à commencer par les compositions les plus orientées hip hop du disque, « Castro Dies » et (surtout) l'irrésistible « Earth, Wind & Fire ». Ailleurs sur Kings & Queens, ce sont Joe Strummer, la Mano Negra, Billy Bragg et les Libertines qui se joignent à la fête, que l'on imagine bien avinée et enfumée, et permettent à Jamie T de faire preuve de toute l'étendue de son talent sur des ballades attachantes (superbe "Jilly Armeen") comme sur des brûlots rock déjantés (le premier single « Sticks ‘N’ Stones » illustrant parfaitement ce propos).
A l’évidence, l’expression « un beau bordel » colle à la peau à cette seconde réalisation de Jamie T, sur laquelle l’artiste fait étalage d’une belle maturité, d’une maîtrise absolue des techniques de production et d’une écriture à fleur de peau qui devrait encore nous réserver de belles surprises à l’avenir.