Kingdom of Welcome Addiction
IAMX
Souvent honni, pour ne pas dire haï, par les spécialistes de musique électronique, y compris dans ces mêmes colonnes, Chris Corner n'a cure de ces médisances et poursuit en toute sérénité son petit bonhomme de chemin avec ce troisième album d'IAMX. C'est notamment pour ne pas tenir compte de ces critiques que l'Anglais s'est expatrié depuis plusieurs années à Berlin, en Allemagne, officiellement pour prendre ses distances avec l'industrie du disque et oeuvrer en toute indépendance, loin de la pression d'un groupe ou d'une maison de disques. Agissant donc désormais dans un anonymat assez touchant, lui qui a vendu des millions de disques avec son ancien groupe, les Sneaker Pimps, le trentenaire fait presque office d'artisan, si l'on tient compte des conditions franchement précaires dans lesquelles ce Kingdom of Welcome Addiction, initialement prévu pour le début de l'année, est distribué dans nos contrées. Les heureux fans qui auront précommandé le disque sur Internet se seront d'ailleurs vu remettre un petit mot (photocopié) de Corner s'excusant pour le retard et promettant des morceaux bonus totalement inédits dans un futur que l'on imagine assez lointain vu le rythme adopté par l'animal !
C'est en effet presque trois ans jour pour jour après The Alternative, son deuxième album studio, et quelques mois seulement après un Live in Warsaw qui avait opéré une sorte de bilan de ce qui n'était au départ qu'un side-project des Sneaker Pimps, que paraît cette nouvelle galette, hantée, comme les précédentes, par les habituelles questions de sexe, d'alcool et de pouvoir qui constituent le terreau de l'inspiration déviante, voire malsaine, du pâle garçon, habitué sur scène à se donner en spectacle dans des poses relativement obscènes. Sombre et déglingué, Corner s'est tout de même employé, durant ces trois dernières années, à peaufiner ses talents de compositeur (déjà largement exercés auprès des Robots in Disguise) et à écrire de nouveaux textes, afin de cesser, enfin, de piller les fonds de tiroir des Sneaker Pimps. De fait, ce Kingdom of Welcome Addiction ne contient - heureusement pour lui - aucun remix sournois d'une vague face B des Sneaker Pimps, mais uniquement des morceaux tout frais, tout neufs. Il se distingue en cela de Kiss + Swallow (2004) et, surtout, de The Alternative, qui procuraient parfois un désagréable sentiment de recyclage opportuniste.
De son coté, bien que présenté comme plus "organique" et moins "froid" que ses prédécesseurs, Kingdom of Welcome Addiction ne surprendra guère les amateurs d'IAMX sur un plan musical, dans la droite ligne électronique, glam et romantique typique des années 1980 bien connue, certains morceaux se révélant même particulièrement proches de choses déjà entendues chez les Robots in Disguise ("The Great Shripwreck of Life"), tout en conservant l'extrême efficacité mélodique caractéristique de l'Allemand d'adoption, ce talent qui le distingue probablement des artistes électro classiques et le rapproche des rockeurs et popeux, avec ses morceaux toujours prompts à vous accrocher violemment l'oreille et à vous obséder toute la journée durant dès les premières écoutes. Cerise sur le gâteau, cet album fait montre de véritables progrès sur le plan textuel, par les thèmes abordés (la religion sur "The Stupid, The Proud", la politique sur "An I For An I") et l'écriture en tant que telle, comme sur "Think of England", premier single de l'album offert en téléchargement depuis novembre 2008, qui conte l'expérience allemande de Corner et son dégoût de l'Angleterre ("I just can't think of England / Can't see the picture / I'm still running from the fire / In a foreign field I cut all regrets").
Toujours seul aux commandes (l'album ayant été, comme les précédents, écrit, mis en boîte, mixé et produit par IAMX lui-même) et même sans l'assistance vocale de Sue Denim, Chris Corner a cette fois trouvé une collaboration ponctuelle avec une autre Anglaise un brin détraquée en la personne d'Imogen Heap, artiste indie découverte sur la bande originale de Garden State avec "Let Go", qui pose ici sa voix sur l'excellent "My Secret Friend", l'un des morceaux les plus réussis du disque. Décadente, sensuelle et violemment hypnotisante, la musique d'IAMX produit toujours le même plaisir et le même enthousiasme, à tel point que l'on souhaiterait à Chris Corner de connaître davantage de succès pour être certain que l'aventure aura bien une suite, ce qui n'est jamais évident compte tenu encore une fois du niveau d'underground dans lequel Corner s'est enfoui. Dans cette attente, ce Kingdom of Welcome Addiction achève de nous convaincre du talent de l'ex-leader des Sneaker Pimps : l'addiction, c'est lui !