Kingdom Of Rust

Doves

Heavenly Recordings – 2009
par Popop, le 8 mai 2009
7

Les carrières de Doves et d’Elbow ont longtemps semblé parallèles : mêmes origines mancuniennes, même talent pour une pop épique, même exigence dans l’écriture, même timing jusqu’au troisième album… Bref, jusqu’à peu, on aurait simplement dit deux bandes de potes qui auraient décidé de faire un bout de chemin ensemble, en se comparant de temps à autre pour savoir qui se tapait le plus de filles - et à ce jeu-là, c’était aussi l’égalité parfaite, les deux formations comptant parmi les plus injustement ignorées d’Angleterre. Puis, l’an dernier, The Seldom Seen Kid, le 4ème album de la bande à Guy Garvey, rencontra un succès quasi miraculeux, laissant la bande à Jimi Goodwin sur le bord de la route.

Dès lors, la logique voudrait que Kingdom Of Rust soit la success story surprise de 2009, le disque attendu seulement par une poignée de fans mais qui finit par rencontrer le grand public dans un de ces moments assez inexplicables qui font que l’on ne désespère pas complètement de la race humaine. Difficile de savoir si cet album attendu depuis quatre longues années empochera à son tour le Mercury Prize, mais une chose est sûre, il s’agit là du virage le plus radical opéré par le groupe depuis le début de sa carrière. Il faut dire que Some Cities, aussi bon soit-il, commençait à sentir un peu le réchauffé : la recette était savoureuse et les cuistots doués, mais les ingrédients étaient connus et la sauce prenait un peu moins. Rien de tel ici ! Dès l’hallucinant "Jetstream" et ses forts relents électroniques, on sent que le trio a décidé de mettre du piment et de l’exotisme dans sa tambouille, quitte à tâtonner parfois sur l’assaisonnement.

Car visiblement, les musiciens se sont souvenus qu’avant de faire carrière avec Doves, ils avaient fait leurs premiers pas musicaux sur les dancefloors de Manchester sous le pseudonyme de Sub Sub. On retrouve donc sur Kingdom Of Rust des traces de ces amours de jeunesse, des beats compulsifs, du bidouillage numérique et même quelques touches de krautrock que l’on jurerait piquées à Can ou à Neu!. Tout n’est pas parfaitement maîtrisé ("Compulsion" sonne un peu comme du mauvais New Order) mais quand l’équilibre est juste comme sur "The Outsiders" ou "10:03", le groupe vole très haut au-dessus de la mêlée. Surtout qu’aux côtés de ces nouveaux sillons fraîchement creusés, on retrouve les autres fondamentaux du groupe, à commencer par la pop mélodique et épique de la bouleversante chanson-titre ou la rythmique endiablée de l’excellent "House Of Mirrors".

Bien sûr, la cohabitation entre les différents genres est parfois houleuse et il manque à Kingdom Of Rust la cohérence sans faille de The Last Broadcast par exemple. Mais s’il faudra peut-être un disque de plus à Doves pour accoucher d’un chef-d’œuvre du niveau de celui de leurs potes d’Elbow, les Mancuniens confirment ici qu’ils sont bel et bien le groupe britannique le plus sous-estimé de la décennie. Et il n’y a aucune raison pour qu’ils restent seuls dans l’ombre, alors croisons les doigts pour un nouveau miracle...