King of Cards
Tom McRae
Petite devinette : après nous avoir accueillies à bras ouverts, Tom McRae prétend être notre roi. Qui sommes-nous ? Tic tac tic tac tic tac... Vous séchez ? La réponse est "les cartes". C'était pourtant facile, quoique piégeux puisque l'on a les "maps" d'un côté (All Maps Welcome en 2005) et les "cards" de l'autre (King Of Cards, aujourd'hui). S'agirait-il d'un vulgaire coup de bluff ou ce nouvel album trancherait-il vraiment avec le précédent, jugé globalement plutôt décevant au regard des deux premiers disques de McRae et surtout de Just Like Blood, sans doute inégalable, sorti en 2002 ? Un peu des deux, malheureusement.
Avouons-le, les premières interviews de Tom McRae publiées ici ou là sur Internet laissaient craindre un nouvel album d'orientation plutôt FM, à mille lieues de l'intimisme et de la délicatesse des deux premiers opus. La raison ? Tom McRae dit qu'il est heureux, apaisé : "J'ai trouvé certaines choses dont j'avais besoin. Comme je n'avais jamais écrit lorsque je me sentais heureux, je voulais tout simplement essayer. Je pense surtout que, jusqu'il y a peu, je n'avais pas assez confiance en mes capacités d'écrire des chansons plus pop ou plus heureuses" (*). Et comme il le dit lui-même en épitaphe de son album : "...I'm tired of fighting".
Or la beauté de son œuvre réside sans nul doute dans son tourment, sa dépression chronique, la relative ascèse de sa musique et ses paroles cinglantes. Nul auditeur de son premier album sorti en l'an 2000 n'a pu oublier les derniers mots de "The Boy With The Bubblegun" : "If words could kill I'd spell out your name / If songs could kill this one's for you". Et on sait que le bonheur est en quelque sorte l'ennemi du chanteur folk – à vrai dire on en avait déjà eu un aperçu sur All Maps Welcome et certains titres particulièrement guimauves ("The Girl Who Falls Downstairs" en tête, malgré son titre…).
Les premiers titres de ce King Of Cards ne nous ont pas rassuré : passe encore "Set the Story Straight", gentille chanson sans mélodie marquante, c'est "Bright Lights" qui nous a fait le plus peur, avec ses claviers cheap, ses arrangements à deux balles et son refrain miteux – de mémoire, McRae n'a jamais fait pire et il faut une certaine dose de courage pour poursuivre l'écoute. Heureusement, à part "Sound of the City" un peu plus tard, le reste des morceaux tend à renouer avec la noirceur de Just Like Blood. C'est le cas, notamment de "Got a Suitcase, Got Regrets" : arpèges de guitare sèche, piano, voix plaintive, texte à pleurer… On retrouve le Tom McRae que l'on aime et qui s'avère donc capable, s'il le veut bien, de faire ce qu'on attend de lui. C'est triste à dire, mais on a besoin de McRae qu'il soit malheureux : plus il ira mal, plus il produira de la beauté, des morceaux d'une beauté renversante. Tom McRae est notre poupée vaudou : on lui tape dessus, on lui déchire la peau, on lui arrache les cheveux, il gémit et on est heureux.
Et si "Keep Your Picture Clear" séduit par son orchestration et son tempo plutôt inhabituels pour l'Anglais, c'est bien "On And On" qui remporte la palme de la plus belle chanson de l'album par la délicatesse de ses arrangements, sa fine mélodie, son texte et l'interprétation asthénique de McRae : "And it’s too late / The damage has been done / You gave a child a gun / Then turned around and run". "Deliver Me" n'est pas mal non plus, d'ailleurs, où il est question de rupture, de cœurs brisés et de désamour noyé dans l'alcool. Un petit régal.
Au final, voici un album en demi-teinte qui vaut surtout pour les quelques titres ci-dessus. En fait, à part deux morceaux bien particuliers, le disque est plutôt acceptable, même venant de Tom McRae, qu'on a connu toutefois plus inspiré. Allez, on n'a plus qu'à espérer qu'il se fasse larguer un de ces quatre et qu'il nous ponde un chef-d'œuvre bien dépressif. C'est pas du joli-joli, mais c'est bien connu : le malheur des uns… Il est donc de notre intérêt que Tom poursuive son combat !
(*) Interview parue dans La Libre Belgique : www.lalibre.be