Kick, Snare, Baritone Guitar
Charlie Hunter
Vous avez remarqué à quel point le débat sur le minimalisme musical est de moins en moins présent ? Je sais pas vous, mais je trouve que ça fait un bien fou de ne jamais avoir à argumenter que « less is more », ou que « more is more », ou que « niche is niche ». Et pourtant, Charlie Hunter, grand manitou états-unien de la guitare – ou devrait-on dire de sa guitare – a décidé de lancer un disque squelettique sur 2021. Habitué des titres aguicheurs, comme le très bon Everybody has a plan until the get punched in the mouth sorti en 2016, il revient avec un minimaliste Kick, Snare, Bariton Guitar, qui nous rappelle qu’à chaque fois qu’on a l’impression de suivre le fil de sa carrière, on a déjà deux albums de retard.
Tout est parti d’un trip old-school, dans lequel Charlie Hunter se repassait de vieux 45 tours qu’on trouvait dans les magazines du siècle dernier servant à promouvoir un instrument ou une technologie, sorte de démos épurées capables de faire la démonstration d’une sonorité en particulier. Évidemment, si vous connaissez le bonhomme, vous pouvez imaginer ce qui a pu naître en lui à ce moment. Si vous ne le connaissez pas, alors il faut le savoir : Charlie Hunter n’est pas un guitariste comme les autres. Très tôt dans sa carrière, il s’est fait faire sur mesure une guitare à huit cordes, composée de cinq cordes aiguës et de trois cordes de guitare basse. Non content de maîtriser un instrument radicalement différent et accordé en dehors de la convention « EADGBE », vous l’aurez compris, le type joue en réalité de deux instruments en même temps. Par exemple, pour ce disque, sa guitare est accordée CFBbEbGC (allez savoir). Pour mieux vous rendre compte, je vous conseille de passer par cette vidéo grâce à laquelle je l’avais découvert en 2008, un vrai régal de virtuosité et d’engagement cérébral dans la musique.
L’idée de faire un disque consacré à la démonstration d’un instrument inconnu, c’est en réalité le vecteur qui traverse toutes ses créations, qu’il s’oriente vers des sonorités hispaniques, du be-bop ou du blues-rock. En 2021, on le devine donc : Hunter travaille avec une nouvelle guitare, toujours à huit cordes, mais très fortement descendue vers les graves. La partie la plus aiguë de la bête équivaudrait ainsi au premier quart grave d’une guitare folk normale. Alors bien évidemment, pourquoi ne pas pousser le concept jusqu'au bout en limitant le nombre d’allié·es dans sa quête ? Jamais habitué aux groupes massifs, Charlie Hunter a poussé le vice à son paroxysme en jouant le kick, la snare et la guitare... tout seul. Toujours plus, vous vous dites ? Vous avez raison.
Le résultat en est pourtant ce petit bonbon blues qu’est Kick, Snare, Baritone Guitar. Une petite vingtaine de minutes, pour huit titres capables d’explorer à leur manière les potentialités de sa machine et survoler une partie de son spectre musical. Alors que « Root’s Hobby Hut » annonce la possibilité de donner une assise inouïe à des accords très graves, « Flint’s » joue le jeu des vieux solos de blues à la Stevie Ray Vaughan. En modulant les deux éléments percussifs, on passe du bayou de « Silver Ball Gardens » à un « Oscar’s » qui lui ressemble déjà beaucoup plus. Pas son disque le plus indispensable, surtout si vous connaissez la petite merveille qu’est Baboon Strength, mais une porte d’entrée pertinente vers sa discographie pour celles et ceux que ça intéresse, et un projet assurément intéressant. Comme d'habitude.