JVLIVS II
SCH
"L’essor ne tient qu’à un couplet", a-t-il dit en interview. Depuis fin 2019, la stratégie du S s’est avérée payante : se faire omniprésent, en abreuvant le rap français de featurings remarquables et remarqués. De Lefa à RK en passant par Naza, le Marseillais a su marquer les esprits en 16 ou 24 mesures, jusqu’à affoler les compteurs avec le raz-de-marée 13 Organisé à l’automne dernier. Pourtant (et heureusement), SCH n’est pas qu’une machine à couplets. S’il est parvenu à surfer sur un buzz qui lui tendait les bras, c’est avant tout grâce à sa créativité et son impressionnante régularité. De A7 à Rooftop, le rappeur est parvenu à tisser une discographie singulière, profonde et passionnante.
JVLIVS II ne déroge pas à la règle. La suite du premier tome fait honneur aux grandes forces du Provençal, en commençant par une écriture fine qui ne tombe jamais dans la facilité, portée par des images qui n’appartiennent qu’à lui. De "Et quand les mômes s’perdent dans les sinueux couloirs des enfers / On s’ra d’retour deux minutes avant qu’les revolvers leur jouent du tonnerre" jusqu’à "AK47, on vient pour faire la bolognaise", le S oscille entre la poésie asphaltée et la violence crue, dépeignant avec précision l’univers mafieux sur lequel il aime tant s’appuyer. Les figures paternelle et maternelle, toujours présentes en filigrane, donnent âme et relief au récit crapuleux d’une progéniture peu recommandable.
Autre fait particulièrement rare et louable pour un rappeur de ce calibre : l’originalité des productions. À l’inverse de beaucoup d’autres, SCH ne se repose jamais sur ses lauriers et explore des contrées sonores peu orthodoxes : « Crack » et sa folie presque rock, « Assoces » et son refrain à la GIMS, « Corrida » et sa rythmique schizo mi-Gunna mi-Jul… Les belles surprises de la première écoute se transforment en petits tubes personnels qui ne demandent qu’à être passés en boucle. Mais quand il s’agit de nous imposer des titres à haut potentiel de stream, ça fonctionne tout de suite moins bien. À l’inverse des prestations de SCH à l’extérieur, les feats à domicile font tâche, même si l’on se doute qu’ils servent une stratégie commerciale bien huilée. À l’instar de ses récentes apparitions, le couplet de Freeze Corleone est paresseux, remplissant sans éclat le cahier des charges (un flow, des références et quelques s/o recyclés, un "j’fais pas…" et une poignée de rimes éculées), tandis que "Mode Akimbo" avec Jul est carrément hors sujet. Dans le tome un, Ninho et son "Prêt à partir" respectaient tout de même bien mieux l’univers délimité par Monsieur Schwarzer.
Comme toute bonne suite, on ne peut d’ailleurs s’empêcher de comparer les deux disques. Et là, certaines choses sautent aux yeux. Tout d’abord, l’homogénéité : Katrina Squad et le fameux Guilty sont moins présents à la réalisation, laissant à SCH plus d’espace pour diriger son œuvre. Conséquence directe : JVLIVS II perd en cohérence, préférant les bangers explosifs aux sonorités organiques, limitant par ricochet la puissance narrative des interludes parlés. La voix française d’Al Pacino (des passages écrits par Furax Barbarossa) résonne moins entre les morceaux, noyée dans une tracklist qui comporte quelques longueurs – attention, l’enchaînement "Parano" - "Corrida" - "Raisons" peut faire bâiller. On peut également déplorer la durée des titres (aucun ne dépasse les quatre minutes) et l’absence de morceaux progressifs qui conféraient au premier tome une exceptionnelle durée de vie, de "Otto" à "Ivresse et Hennessy" sans oublier "Mort de rire".
Mais ne nous y trompons pas : il ne faudrait pas juger JVLIVS II sur des critères en décalage. L’ainé se trouvait à la limite du film d’auteur, tandis que le cadet endosse des velléités de blockbuster. Et si les geeks élitistes que nous sommes se reconnaissent un peu moins dans ce registre, on sent que SCH a atteint son double objectif : déplacer le centre de gravité de Naples vers Marseille, afin d’élaborer un album parfaitement calibré pour un démarrage explosif en tête des ventes. Et on peut dire que les chiffres ne mentent pas. Toutefois, quelques lacunes ne relèvent pas toujours du parti pris. Interprète de génie, Schwarzer se montre à peine moins impressionnant qu’à l’accoutumée. Sa voix élastique le transforme moins souvent en caméléon du micro. Mais cela ne l’empêche pas de rapper et de raconter des histoires comme personne. Maître de l’émotion, comme dans "Loup Noir" ou "Mafia", SCH est très bon lorsqu’il s’agit de mettre un pied dans la varièt’. Des voies qu’il peut défricher à l’avenir pour "allier le chèvre et le chou", la critique et le public. De toute façon, les exigences projetées sur le rappeur sont telles que la barre est forcément placée plus haut que pour le reste du game. Dommage qu’on ne puisse pas mettre de notes décimales sur les chroniques ; on se contentera d’invoquer Anthony Fantano : « a strong 7 to a light 8 ». Respect le S, on compte sur toi pour le tome III.