JP4
Junglepussy
Comme ses consoeurs Kari Faux, Bbymutha et Dai Burger, Junglepussy a toujours appartenu à ce genre de rappeuses inclassables, et suffisamment débrouillardes pour continuer à sortir des projets malgré le peu d'engouement pour les rappeuses underground au début des années 2010. Plus accessible, son JP3 lui avait ouvert en 2018 quelques portes. Elle avait alors profité de cette célébrité bien méritée pour signer chez Jagjaguwar (Angel Olsen, Bon Iver, Moses Sumney) et même jouer dans le film "Support The Girls" aux côtés de Regina Hall.
Deux ans plus tard, c’est un régal de la retrouver avec un album toujours aussi authentique, mais encore plus complet tant au niveau du fond que de la forme. Et JP4 de commencer sur les chapeaux de roue, avec des riffs de guitare saturée et des échos assez creepy qui donneraient l'impression, renforcée par la pochette, d'assister à un remake plus pointu du "Disturbia" de Rihanna. Passé l'allumage, l'album poursuit son bonhomme de chemin en croisant trip-hop, alt-rock, funk et bien sûr hip hop. Outre son excellente DA qui donne de la cohérence à ces crossovers audacieux, Junglepussy utilise encore une fois avec beaucoup de dextérité sa voix grave et rugueuse, à la limite de l'androgynie, pour habiller de son phrasé imposant les productions de ses fidèles producteurs Kashaka, Shy Guy et Sporting Life - l'ancien Ratking.
Cette voix si caractéristique lui est d'ailleurs bien utile pour donner corps à son propos féministe tout au long de JP4. Que ce soit lorsqu'elle interroge le bien fondé des normes de beauté ("Morning Rock"), ou lorsqu'elle se moque des masculinités toxiques ("Main Attraction", "Arugula"), Junglepussy le fait toujours avec une bonne dose d'humour et un certain talent pour la punchline. Comme sur ses albums précédents, cette résilienceet cette volonté d'échapper au carcan patriarcal constituent le fil conducteur du projet, sans pour autant en faire des caisses et transformer l'album en outil militant.
Un féminisme qui ne dit pas son nom, mais qui déjoue bien des contresens ou des réappropriations détournées, comme lorsqu'elle indique dans une interview accordée au Guardian qu'elle souhaite que l'on arrête de vanter les femmes de l'ombre qui s'occupent de tout organiser aussi bien au travail qu'à la maison, à la manière de superhéroïnes qui sacrifieraient leur vie en rendant beaucoup plus confortable la vie de leurs homologues masculins. Son propos, au contraire, est de libérer les femmes de cette ode à la performance, en soulignant leur complexité, leurs contradictions et leurs aspirations. "I can't wait 'til we escape this/I know a place where they can't take it" répète-t-elle d'ailleurs sur le morceau "Out My Window". Et on retrouve partout ailleurs sur l'album d'autres fulgurances de cette fan de Betty Davis et d'Erykah Badu, qui souhaite se réapproprier son corps et l'image qu'elle renvoie d'elle-même, comme lorsqu'elle clame "No more drunk sex in your Porsche/I'm my own snack" sur le morceau "Telepathy" ou lorsqu'elle file la métaphore de la mante religieuse dominatrice sur le morceau "Spiders".
Même s'il ne sera pas synonyme de succès massif ou de featurings avec Nicki Minaj, ce nouvel album de Junglepussy, en plus d'être une vraie réussite, aura le mérite d'améliorer encore un peu plus sa formule en s'aventurant davantage sur le terrain de l'expérimentation et en amenant plus de vulnérabilité et d'introspection dans ses textes. Un nouveau pas en avant qui nous fait espérer beaucoup de bonnes choses pour la suite.