Journey To The West

Monkey

XL Recordings – 2008
par Romain, le 17 octobre 2008
8

Monsieur Albarn est joueur. Car chacun de ses projets est un pari, souvent risqué, sur la réception par le public d’une idée complètement originale et en parfait décalage avec la précédente. Déjà en 2001, le lancement de Gorillaz avait fait figure de révolution dans le petit monde de la britpop. Comment peut-on passer du pop rock sucré de Blur à un conglomérat de styles aussi divers que le hip hop et le dub avec autant d’aisance et de succès à la clé ? La question n’a même pas obtenu de réponse claire qu’elle se pose à nouveau après la naissance de The Good, The Bad And The Queen, quartette post-punk  composé exclusivement de « légendes vivantes », Paul Simonon des Clash entre autres.

The Journey To The West se dessine dans la droite ligne de cette tradition d’innovations libertaires garanties par le seul talent d’un musicien d’exception. Cet album n’est qu’une des facettes d’un projet beaucoup plus vaste, entamé en 2007. En effet, Albarn et Hewlett, illustrateur de Gorillaz, se sont mis en tête de mettre en scène un opéra dans son intégralité, l’album n’en étant que la trame musicale. La troupe, composée d’acteurs et musiciens chinois et européens, a démarré sa tournée européenne en juillet 2007. L’opéra est une adaptation d’un roman de Wu Cheng’en écrit au 16ème siècle et contant les pérégrinations d’un roi singe en quête d’immortalité à travers l’Asie. Adapté à tous les supports, ce récit est un véritable classique en Asie. On en retrouve l’influence dans de nombreux mangas et animes, Dragon Ball en tête. C’est dire s’il fallait de l’ego pour remanier cette œuvre et Albarn semblait tout désigné à ce titre.

C’est à un style radicalement différent que l'amateur de Gorillaz va se heurter à l’écoute de Journey To The West. Un style différent, difficile certes, mais pas pour autant hermétique. En effet, Albarn allie ici musique traditionnelle chinoise, orchestration classique, musique électronique et rock dans un style résolument pop qui laissera sa chance au simple curieux mais qui n’ennuiera pas non plus l’esthète averti. Car sans être impossible d’accès, le travail d’Albarn est remarquable de complexité. Chaque morceau est calibré et travaillé pour s’inscrire très justement dans l’écrin du récit. Rien n’est laissé au hasard : l’instrumentalisation est parfaite et les voix se posent naturellement dans l’ensemble sans que rien ne dépasse. Albarn nous livre ici un réel travail de compositeur classique, très loin de ce qu’on pourrait trouver dans le rock ou l’électronique standard.

Si on n’est pas totalement en terrain inconnu, c’est que la touche Gorillaz et Blur est bien présente. Les claviers d’un Confession Of A Pig rappellent furieusement la période 13 de Blur, mais ce n’est là qu’un exemple parmi d’autres. Néanmoins Journey To The West doit être compris comme un opéra pop et pas comme un album de pop à proprement parler. A ce titre, il n’arrivera jamais dans les dancings : encore une fois, si la touche Albarn est forcément présente, on a affaire à quelque chose qui ne se révèlera pas dans l’instant.

C’est d’ailleurs peut-être le seul reproche qu’on pourrait faire à cet album : l’univers suggéré par l’écoute est trop vaste pour être appréhendé par l’oreille seule. Sans le support visuel du film ou de la pièce, on manque probablement quelque chose. L’image donnée par Hewlett aux personnages ajoute indéniablement un plus au monde de Wu Cheng’en, et cette image manque. Mais pour ceux qui auront (ou ont déjà eu) la chance d’assister au spectacle, l’album se révèle indispensable.

Il n’empêche que cet album est extrêmement abouti et est certainement l’œuvre d’un artiste de génie. Il s’agit aussi d’une œuvre personnelle qui témoigne de l’amour de son compositeur pour l’imaginaire asiatique et la musique pop. Un amour qui, grâce à la qualité du tout, se laisse facilement partager.