Jassbusters
Connan Mockasin
Il suffit de se perdre dans la section commentaires de n’importe quel canard, de se farcir une livraison de TPMP, de constater la popularité du marathon auprès de gens qui pensaient il y a encore 2 ans que le running était un sport de cons ou de s'abonner au compte Twitter de Donald Trump pour confirmer ce que l'on sait déjà : on vit une époque excessive, violente, terrifiante. Pas étonnant du coup que Rammstein remplisse des stades, que le gabber fasse un fat comeback ou que des types comme Tekashi69 soient considérés comme "mainstream" dans le rap. Pour répondre à la violence du quotidien, l'être humain normalement constitué se cherche des bulles où il se retrouve seul pour faire le point, le vide ou le con dans le dédale de ses pensées : certains se lancent à corps perdu dans le tricot, d'autres tapent sur des sacs de sable dans une forêt. Personnellement, je ponce le nouvel album de Connan Mockasin.
Sept ans après le miraculeux et inattendu Forever Dolphin Love sur Phantasy, le label d'Erol Alkan, le globe-trotter néo-zélandais reste ce type un peu chelou et très insaisissable, snobé par le grand public mais adoré par ses pairs - ces dernières années, on l'a vu travailler avec et pour Dev Hynes, James Blake, Charlotte Gainsbourg ou MGMT. Des noms bien ronflants donc, dont certains se retrouvent d'ailleurs sur Jassbusters, troisième long format de Connan Mockasin, qui sort cinq ans après un Caramel bien perché.
Il y a Charlotte Gainsbourg d'abord. On n'a pas reçu de copie physique du disque, avec un livret nous permettant d'avoir plus de détails sur son éventuelle implication, mais la seule puissance évocatrice du titre du morceau ("Charlotte's Thong") suffit à en faire l'un des moments très spéciaux de 2018 : d'un côté l'idée d'imaginer la Française en string est une source d'indicible malaise, mais de l'autre le travail réalisé par Connan Mockasin sur le titre frôle la perfection, comme si Mac DeMarco essayait de reprendre du Serge Gainsbourg à la façon de Wilco - du dad rock pour daddy cools en somme. Juste derrière, c'est James Blake qui s'invite sur "Momo's", une ballade langoureuse et cotonneuse qui sied parfaitement aux complaintes de l'Anglais, passé maître dans l'art de couiner avec classe. Mais ce dernier n'ayant pas le monopole du crooning, Connan Mockasin lui renvoie la balle juste derrière sur un "Last Night" tout aussi réussi.
Ces trois premiers titres sont parfaits en ce sens qu'ils plantent magnifiquement le décor : extrêmement cohérents dans l'ambiance qu'ils développent, ils sont très différents dans leur façon de concrétiser les ambitions d'un Connan Mockasin qui jamais ne se prend les pieds dans le tapis, car capable de s'amuser avec la frontière entre bon et mauvais goûts pour donner d'imparables et improbables résultats. Pourtant, on ne peut pas dire que l'on partait avec un a priori extrêmement favorable, le disque nous étant vendu comme un concept album servant de compagnon à Bostyn 'n Dobsyn, un film en 5 parties créé par Connan Mockasin et conçu pour être écouté après avoir regardé celui-ci. Soyons clairs : quand on regarde la pauvre tête de Connan Mockasin, la dernière chose que l'on a envie, c'est de savoir qu'il va hanter nos nuits parce qu'on l'a vu jouer dans un mélodrame arty et fauché. Et à l'arrivée, ce que l'on pensait être un concept album chiant et prétentieux se révèle être l'un des tout bons disques de freak pop de 2018.