It's Almost Dry
Pusha T
Dans quelques jours, Terrence LeVarr Thornton alias Pusha T va fêter ses 45 ans. Et si l’on regarde dans sa tranche d’âge, il ne sont plus très nombreux à continuer d’exister autrement qu’en s’offrant à l’occasion un featuring paresseux chez un jeune confrère ou en se lançant dans une tournée best of ayant pour seul et unique but d’ambiancer quelques boomers qui exècrent « le rap d’aujourd’hui ». Heureusement pour nous, Pusha T n'est pas Nas ou 50 Cent.
Il y a quelque chose de fascinant à voir avec quelle énergie et quelle détermination le natif de Virginia Beach continue de se démener pile 20 après la sortie de Lord Willin’. Peut-être parce qu’il a à cœur de faire flotter le radeau G.O.O.D. Music, à la dérive depuis plusieurs années : Big Sean est aussi utile au rap US qu’un lance-pierre à un résistant ukrainien, Kanye est Kanye et personne n’a parlé du dernier album de Teyana Taylor. Autrement dit, G.O.O.D. Music ne peut plus compter que sur son capitaine (et 070 Shake) pour éviter le naufrage. Peut-être aussi (probablement en fait) parce qu’il y a dans l’ADN de cet ancien dealer habitué aux guerres de territoire un instinct de survie qui le pousse à ne jamais se reposer sur ses lauriers. C’est d’ailleurs assez marrant d’entendre ce businessman et père de famille parler à longueur d’albums d’une activité qu’il ne pratique plus et d’une drogue qui n’a probablement pas croisé ses narines depuis belle lurette : mais par la puissance évocatrice et la précision chirurgicale de ses punchlines, on a envie de croire que Pusha T est resté ce jeune dealer de Virginia Beach qui aspire à réussir dans le rap. À 44 ans, il a la dalle d’un jeune premier, et celle-ci infuse des disques qu’il a l’intelligence de faire courts – comme avec DAYTONA, on a droit à une grosse demi-heure de musique.
L’autre force de ce disque, c’est bien sûr les productions : sur It’s Almost Dry, il retrouve Pharrell Williams, qui l’avait lancé dans le rap avec les Neptunes en 2002, et Kanye West qui était derrière le DAYTONA qui relançait sa carrière en 2018. Si le premier montre combien il reste pertinent et essentiel dans le rap à bientôt 50 balais (la basse profonde et les claviers lunaires de « Neck & Wrist » résument bien son génie), le second nous rappelle les plus belles heures du Louis Vuitton Don qui faisait des millions en pitchant des samples de soul (d’ailleurs, lui et Pusha T s’en donnent à cœur joie sur « Dreamin’ of the Past » et son sample de Donny Hathaway reprenant John Lennon). Et si Pharrell Williams a toujours été un producteur conscient de l’environnement dans lequel il évolue, tout ce qu’a sorti Kanye West ces cinq dernières pointe dans la direction opposée. Mais à l’inverse de deux Donda indignes de son talent, il débarque ici sur un disque autrement mieux balisé et qui ne s’est pas terminé à la hâte dans un vestiaire de stade de foot. Mieux encadré, et probablement un peu bridé, il parvient à retrouver ce feu sacré qui n’apparait plus que par intermittences sur ses albums solo.
Certes, Pusha T aura souvent évolué à son meilleur niveau grâce à quelques producteurs qui auront compris comment il fonctionnait et quelles étaient ses limites, mais derrière l’emballage parfait concocté par Pharrell et Ye, on doit souligner combien It’s Almost Dry reste un grand disque de rap : à ce titre, des morceaux comme « Brambleton » ou « Let The Smokers Shine The Coupes » attestent de la vitalité au micro de Pusha T, et de sa capacité à sortir ses plus grosses ogives au meilleur moment. Certes, Pusha T est un peu ce vieil iPhone 8 dont tu n’oses plus mettre à jour l’OS de peur que la bestiole ne survive pas à la procédure. Mais quand on voit combien la quarantaine peut être compliquée pour l’immense majorité des rappeurs, on doit avoir l’honnêteté intellectuelle de reconnaître à Pusha T une longévité exceptionnelle, et une place bien méritée au panthéon des plus grands MC's du 21ème siècle.