Isla
Portico Quartet
Chaque année, c'est la même rengaine: lors de l'annonce des nominés pour l'octroi du prestigieux Mercury Prize, on trouve à côté des favoris évidents une poignée d'artistes qui semblent parachutés là à des fins de pur remplissage. Ainsi, en 2008, qui se souvent encore qu'aux côtés de Burial ou Elbow traînait le Portico Quartet, groupe de jazz londonien qui ne partait pas vraiment avec les faveurs des bookmakers. Il faut dire que le Mercury Prize s'éloigne rarement des courants dominants de la presse musicale généraliste d'outre-Manche, où le jazz est à l'évidence un mouvement sous-représenté. Résultat des courses, personne ou presque n'a vraiment pris le temps de découvrir ce jeune quatuor fondé en 2005. Soyons francs: la paresse a également prévalu dans ces colonnes et c'est alors que sort le deuxième album du groupe que l'on peut enfin prendre conscience de l'énorme boulette commise.
Pour un amateur lambda de rock ou de musique électronique, il n'est évidemment jamais facile de parler de jazz sans tomber dans un pseudo-papier digne du blog de votre cousine de 15 ans. Mais à l'image du mec qui ne boit qu'occasionnellement du vin, si les références manquent parfois, il est assez aisé de faire la différence entre une piquette de supermarché et un Bordeaux savoureux. Et c'est justement dans cette dernière catégorie que se situe ce Isla carrément enthousiasmant et sorti sur le label Real World de Peter Gabriel. A mille lieues d'un jazz expérimental et introspectif, la musique du quartet londonien permet au néophyte d'évoluer dans un univers plein de relief où des motifs variés viennent délicatement s'imprimer sur des rythmiques aussi sobres que répétitives, et dont la principale caractéristique est de souvent s'appuyer sur cet instrument bizarre qu'est le "hang". Cousin éloigné du steel drum caribéen, cet instrument crée par deux Bernois après de nombreuses année de recherche confère souvent une coloration exotique (et parfois très intrigante) à des compositions assez traditionnelles dans leur respect des grands canons du jazz.
Mais limiter l'originalité du Portico Quartet à la seule présence d'un instrument rare serait extrêmement réducteur. Ce qui rend ce groupe particulièrement charmant, ce sont également ses influences revendiquées: il y a dans ce jazz-là du Sigur Ros, du Steve Reich, du Radiohead (période Amnesiac) ou de l'E.S.T., le célèbre trio suédois capable lui aussi de fédérer un large public autour d'une musique résolument moderne et en totale adéquation avec son époque. D'ailleurs, cette étiquette jazz, Jack Willie (sax et électronique), Milo Fitzpatrick (contrebasse), Duncan Bellamy (batterie) et Nick Mulvey (hang) ont plutôt tendance à la rejeter en interview, parlant plutôt dans leur cas de post-jazz et n'oubliant pas de placer que ce Isla a été enregistré dans les studios d’Abbey Road sous la houlette du producteur John Leckie (The Bends de Radiohead ou le premier Stone Roses). Et c'est vrai que s'il est un disque qui fait avec beaucoup d'efficacité la jonction entre rock et jazz, c'est bien Isla. Vous l'aurez compris, si vous devez acheter un disque de jazz en 2010, cette galette doit figurer en tête de votre liste.