Intimate Immensity
Tomaga
En ce quasi-milieu d’année 2021, parler objectivement d’Intimate Immensity, ce serait omettre la mort foudroyante de Tom Relleen en août dernier. Faut-il chercher à parler du disque uniquement pour ce qu'on y entend ? Et comment parler d’un disque posthume tout en restant impartial ? Le plus tragique, c’est que l’énergie que l’on mettrait à répondre sérieusement à ces questions ne changera rien au fait que Tomaga, c’est fini.
Après sept ans de créativité hors norme, le duo que composait Tom Relleen avec la percussionniste Valentina Magaletti laisse un vide abyssal. Ce vide abyssal, ce n’est pas uniquement celui d’une discographie avortée, c'est aussi celui de la noirceur qui luit dans son contraste avec la musique même du groupe. Depuis qu'on avait intégré que Tomaga n’était pas un rejeton de The Oscillation mais bien un projet essentiel pour les musiques aventureuses du paysage actuel, tout ce qu’il y avait de vital dans cette œuvre nous apparaissait comme une évidence. Organique, jeune, puissamment joueuse, la musique de Magaletti et Relleen n’était limitée que par leur propre plaisir de la construction esthétique.
À ce titre-là, Intimate Immensity est une pépite de plus. Dans le mélange des genres, Tomaga n’était peut-être jamais allé aussi loin dans son éclectisme très british, bien que la moitié du groupe ne le soit pas - en témoigne un morceau comme « The King of Naples », qu’on croirait tout droit sorti de la team Deep Medi. Mais là où cette capacité au syncrétisme rendait certains EPs plus ludiques et métamorphes, il y a un vrai sentiment d’aboutissement dans cet ultime disque. Si le choix du titre est posthume, il n’en reste pas moins très à-propos: pour la première fois peut-être, Tomaga sait à quel point sa musique va bien au-delà de la simple expérimentation. Après le travail effectué avec Pierre Bastien et Nicolas Jaar il y a deux ans, on a senti comme un moment révélateur dans la discographie du binôme: plus d’assurance et plus de jusqu’au-boutisme, mais sans jamais sombrer dans l’inaudible. Des titres aussi finement construits que « Very Never (My Mind Extends) » ou le sublime « Intimate Immensity », très conscients de leur portée, sont les preuves les plus marquantes de cette maturité.
Alors non, on ne lancera pas Tomaga sur les rails du rêve brisé par la mort, on ne dira pas que le duo allait enfin devenir ce qu’il avait toujours pu espérer, et que le prochain disque aurait été le classique du troisième millénaire. Ce n’est pas vrai, et ce qui a toujours été beau dans son histoire, c’est justement cette créativité au présent. Jamais le langage n’a servi à survendre ou sous-vendre leur musique. Jamais Tomaga n’a été autre chose que ce qu’on a reçu à entendre d’eux.
À titre personnel, Tom Relleen va me manquer. J’ai adoré adorer Tomaga, j'ai adoré voir leur musique évoluer, comprendre progressivement à quel point leur légèreté était profonde. J’ai adoré écrire sur leur musique, et je sais que je trouverai toujours un moyen d’y revenir. Intimate Immensity restera une merveilleuse occasion de se rappeler la pertinence de leur musique, et de penser à suivre au plus près la carrière de Valentina Magaletti. Pour ce qui est de Tom Relleen, le travail sera le même que pour tout décès. Lutter pour que la patience transforme la frustration en souvenir. C’est triste qu’une musique aussi vivante soit entachée de la mort, mais elle a assurément la force de dépasser tout cela.