In•ter a•li•a
At The Drive In
NON.
Et si je m’écoutais, je vous planterais là pour me précipiter dans le premier bar venu et diluer le goût de la trahison dans une ligne de tequilas.
Pour être honnête, je n’en voulais pas de ce nouvel album de At the Drive In. Il y a 17 ans, Relationship of Command avait atterri par hasard dans mon panier à la médiathèque communale, le précédent dépositaire ayant griffonné des petites croix rageuses devant les titres « One Armed Scissor » et « Invalid Litter Dept. ». J’étais donc sommée de suivre le guide et de prendre une bonne raclée texane sans faire ma mijaurée. Et j’ai aimé ça. Ça ne chouinait pas comme la nuée de groupes emo qui pullulaient à ce moment-là, avec leur petite mèche de borgne et leur piercing au sourcil. ATDI était le renard dans le poulailler, démontant le grillage, des plumes entre les crocs. Et puis surtout, Omar Rodriguez-Lopez était devenu mon héros providentiel, le messager de ma délivrance : il était désormais autorisé de porter des lunettes ringardes, d’être socialement inadapté et d’arracher le tapis plain à mains nues une fois sorti de sa boîte. En tant que porteuse de lunettes ringardes socialement inadaptée, cette attitude m’a donnée beaucoup d’espoir pour la suite. Vous me direz que tout ceci n’est que l’épanchement banal d’une vieille conne nostalgique et vous n’aurez pas tort. Mais vaut mieux ne pas les décevoir, les vieilles connes nostalgiques.
Cette part glorieuse de mon adolescence, je suis encore prête à la voir crapahuter sur scène – une tâche que les gars accomplissent honorablement, sur base de leurs dernières performances en date - mais je n’aspirais pas à la voir reconstituer son passé sur un tas de cendres. Cela fait des années que la troupe est passée à autre chose et il n’y a pas encore si longtemps, les mecs semblaient plutôt goguenards à l’idée de ressusciter la formation. Entre temps, il y a eu De Facto, The Mars Volta, Sparta, Antemasque, El Grupo de la Redención (celui-là n’existe pas mais c’est juste pour vérifier si vous suiviez), sans compter les innombrables projets de Rodriguez-Lopez au sein desquels nos chevelus ont pu laisser libre court à leurs fantasmes expérimentaux ou plus folkloriques. Il y a aussi eu des décès, de l’embonpoint parental et le claquage de porte remarqué de Jim Ward, pierre angulaire du son ATDI.
La question qui anime donc In•ter a•li•a est la suivante : what’s the point? Tous les ingrédients sont là. Les textes cryptiques de Bixler-Zavala, les petits bras rancuniers qui besognent leurs instruments avec détermination et un climat politique suffocant qui leurs donne un bon millier de raisons de s’énerver correctement. Pourtant, rien de tout cela n’hérisse les poils. On refait la même avec un filet de sécurité et le teint pâle. Ça ressemble à At The Drive In, ça sent comme At The Drive In, ça goûte le chlore.
Peut-être ne faudrait-il prendre cet album que pour ce qu’il est, c’est-à-dire une convenable livraison post-hardcore qui assure le service après-vente. Peut-être dois-je cesser de croire au retour triomphal d’un groupe qui à autre chose à foutre que de réconforter ses fans de la première heure. En attendant, je me couche avec le ventre vide et c’est une sensation relativement désagréable.