In Vitro (vol. 1 & 2)
Claro Intelecto
S’il est bien un format dont la cote de popularité n’aura jamais été au beau fixe, c’est le best of. Enfin, pour le mélomane exigeant. Le consommateur un peu moins regardant est plutôt friand d’un objet qui remplit son office (générer des plaisirs simples et des tonnes de fric) sans que cela ne représente un effort colossal. Et puis comment nier sa légitimité à un concept qui a été responsable de certaines des plus importantes ventes de disques de l’histoire – on a tous (eu) un Greatest Hits de Queen, le 1 des Beatles ou le Gold d’Abba dans notre armoire à un moment donné de notre vie. Mais c’est sa popularité qui a sur la longueur miné sa crédibilité, aujourd’hui synonyme de l’appât du gain des majors. Pourtant, si elle est réalisée avec soin, et que l’artiste qui en fait l’objet le justifie, la bonne vieille compilation peut se révéler une arme redoutable, comme on le constate avec les deux volumes de In Vitro consacrés par le label hollandais Delsin à l’une des hérauts discrets de la musique électronique.
Actif depuis une vingtaine d’années, Claro Intelecto traverse les époques et les modes avec aisance, probablement parce qu’il se fiche des époques et des modes. En six albums et une bonne dizaine d’EPs, l’Anglais a pris le temps d’explorer toute la musique électronique qu’il aime avec le soutien de labels qui croient en lui – Delsin donc, mais aussi Modern Love (Andy Stott, Demdike Stare). Il ressort de ce cadre de travail plutôt avare en contrariétés une musique qui s’impose peu ou pas de contraintes, et ne se pense pas en termes comptables. Et qui ratisse large, très large. Pas à l’intérieur d’un même morceau, comme ces artistes qui se prennent les pieds dans le tapis à vouloir rendre hommage à tous leurs modèles en un minimum de temps. Non, chaque titre sur In Vitro est à prendre comme une vraie leçon, et se vit comme la démonstration appliquée d’un artiste précieux qui a tout de ce nerd discret qui reste paisiblement assis au fond de la classe et enchaîne les meilleures notes sans se la péter. Techno, dub techno, house, IDM, tout y passe, y compris bien sûr les plus grands titres de la carrière de Claro Intelecto – il est en effet fort possible, si vous consommez régulièrement de la musique électronique, qu’un algorithme bien entraîné vous ait suggéré « Peace of Mind (Electrosoul) », tube underground et petit traité de techno mélodique qui virevolte en apesanteur.
Il serait aussi vain qu’usant d’essayer de vous détailler par le menu le contenu de ces deux disques. L’objet In Vitro comme ce papier n’ont qu’un seul but : démontrer que si le best of a encore de beaux jours devant lui, notamment grâce aux playlists « This Is » de Spotify, il est aussi un format qu’il convient de revaloriser quand il est confié à des curateurs soucieux de raconter une histoire qu’un logiciel gavé de big data serait bien incapable de remettre dans un ordre cohérent et valorisant. D’ailleurs, dans une musique électronique qui a tendance à se vivre à travers des formats courts pensés pour le club et dans un circuit finalement assez exclusif, In Vitro ouvre de belles perspectives aux amoureux qui voudraient raconter des artistes dont tout le monde connaît le nom parce qu'ils colonisent le circuit du deejaying mais maîtrise au final assez mal l’œuvre – on pense à des gens comme Moodymann ou Chez Damier, mais la liste serait encore longue.